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Un amour fictif
29 mai 2009

Minority report 3 : tout sur le travail d'adaptation

1. Contexte

Le récit de Philip K. Dick est un récit d'anticipation. Le texte est écrit à l'époque où Robert A. Heinlein mène une propagande au travers de ses livres, pour faire rentrer les voyages spatiaux dans les mœurs depuis plus de 10 ans (son premier roman date de 1941). Les ordinateurs sont encore tout récents, puisque le premier date de 1945. Ils ressemblent à d’énormes calculateurs, presque des immeubles. En 1951, de nouvelles images sont visibles, grâce à l'échographie alors balbutiante.

La mort de sa sœur jumelle Jane au bout de six semaines de vie commune, a traumatisé Philip K. Dick.

La version décrite par Philip K. Dick est, pour un lecteur de nos jours, datée. Nous cherchons un bien être exprimé par l’espace, et les ordinateurs, tels que décrit par K. Dick, ont disparu…

La version de John Cohen présente un futur trop cartoonesque pour être crédible. C’est un trop grand délire de science fiction et non d’anticipation : Il présente par exemple des policiers holographiques dotés d’une intelligence artificielle !

Spielberg a l’obligation de faire un film d'anticipation, pour être fidèle au roman de Dick. Il a réunit des penseurs autours de ce à quoi allait ressembler le futur, afin d’avoir une vision réaliste… pour l’année 2001. Ce qui ne veut pas dire que dans 25 ans, la vision ne soit pas datée.

  1. passer d'un futur proche de 1956 à un futur proche de 2001 : La question des lieux

Il faut ici noter qu'il n'y a que le texte original et le film qui présentent des lieux. Chez K. Dick, tout est très abstrait, et comme l'on passe de l'un à l'autre sans cesse, on ne peut se faire une idée que du bâtiment retenant les précogs. Est-ce un but de l’écrivain, ou est-ce parce que l’histoire est écrite à toute allure ?

Les scénarii n'ont aucune description physique de lieu. On sait que les personnages sont ici à précrime, ou dans le centre commercial, et là chez Hineman. Les scénariste laissent au réalisateur le choix du lieu. On sait juste que les précogs sont, pour Cohen, in the darkness (p1) ou dans a sort of white liquid (p1), dans la version finale de Scott Frank. Nous connaissons aussi les quelques plantes qui attaquent Anderton chez Hineman. La question des lieux est ici uniquement une question de mise en scène – et dans ce cas si, la mise en scène est superbe, car bourrée d'idées.

  • De 1956 à 2054

Dans le livre, tout ce passe dans un univers proche de celui développé dans Blade Runner, que Philip K. Dick connait, pour avoir basé la plupart de ses livres dessus. Il présente ses lieux comme emprunt d'une espèce d'anticipation 'cyberpunk'. C'est l'image du 1956 que vis Philip K. Dick, mais un 1956 sale, puant, dont la campagne a été ravagée par une guerre Anglo-chinoise (p30-31). Vie grouillante de câbles électriques.

Spielberg oscille entre deux visions :

Il y a le propre, clean voir brillant, des locaux de précrime, du centre commercial, et du métro. Tous sont hypermodernes et ont la quasi-totalité des objets anticipés. Le seul objet d'anticipation qui n'est pas aux mains de la police ou du commerce, c'est le 'changeur d'yeux' du Dr. Eddie.

Il y a en contrepartie les lieux 'normaux' : murs de pierres ternes, rideaux parfois sales, poubelles, chiens.

Afin de montrer la 'descente aux enfers' de John Anderson, il commence par une enquête 'propre' dans une banlieue chic. Puis, on retrouve le décor de murs géorgiens dans la poursuite, mais cette fois noircis, avec tout le sale que l'on peut imaginer : les poubelles, les flaques d'eau, les grillages, le pas fini, et le filtre bleu sale devant la caméra.

Ensuite, John Anderton doit se faire refaire les yeux. Il y a des murs-images. Nous sommes à présent dans une atmosphère qui fait totalement penser au film Blade Runner.

Puis, nous découvrons le lieu de vie de Lara : lieu ouvert, près d'un lac. Lieu à placer en opposition avec la maison de Hineman, où même si elle est dans la nature, elle est en milieu hostile. Il y aura aussi les cages de bétons, où Leo Crow se suicide. Là encore, Steven Spielberg présente une idée de mise en scène : les personnes qui viennent voir ce qui se passe, après le meurtre, sont en face, chez elles, et sont une par loyer. Elles sont donc physiquement éloignées. Cette mise en scène est à opposer bien sur, avec la parade à l'hôtel Willard (p116 chez Scott Frank). On a la même action : c'est ici le suicide de Lamar Burgess. Un tout petit lieu, avec plein de monde entassé sur un balcon, après le coup de feu. Ce, alors qu'il y a un énorme espace tout autours.

  • Comparaison des locaux de police

Dans la première version de Minority report, les locaux de la police sont difficilement identifiables. On a le bureau de John Anderton (p15), une enfilade de bureaux éclairés raisonnant d'activité (p17), un ascenseur rapide (p18) qui emmène John Anderton et Danny Witwer dans les profondeurs du bâtiment (p18) – donc un grand bâtiment –, plusieurs portes pour arriver dans le bâtiment d'analyse, avec des calculateurs et les mutants (p18), et le bureau de Lisa.

La mise en scène de Spielberg rend les locaux de la police hypermoderne, à l'opposé de la vision de Dick, qui par son enfilade de bureaux, restreint son futur à un 1956 sale. Les locaux sont présentés avec des murs de verres, avec des couloirs aux sols de verres. On note que la comparaison est possible entre ces murs de verre, et des supports d’image… sans images. On ne remarque les passages grâce aux rampes de protection. Comme l’enfilade de bureaux qui montrait une monotonie déplorable, Ces murs sans images cherchent à donner la même expression, même la monotonie est rapidement effacée par l’action.

  • La maison de Lara

La maison d’Anderton est caractérisée de deux mots dans la nouvelle de Dick : la maison était fraiche et déserte (p28). C'est effectivement l'ambiance que l'on retrouve avec la maison de Lara. La maison est si grande pour une personne ! Elle est aussi si calme, qu'elle fait plus penser à une maison de vacances… L'immensité du lac nous rappelle l'humidité. On note qu'il est précisé que Lara vit dans une 'cliff house', Cliff house qui implique la maison auprès d'eau. Ici, Spielberg a pu inventer à nouveau sans trahir l'ambiance qu'a donnée Philip K. Dick.

  • La serre

Le personnage d’Iris Hineman n'existe pas dans la nouvelle. Il a été créé de toutes pièces par Scott Frank. Il s'adapte pourtant parfaitement à l'architecture du récit. Hineman, c'est la créatrice de la fonction de précrime – créatrice et non fondatrice, Lamar ayant ensuite utilisé une machine qui marche, et qui lui était pratiquement offerte. Le lieu de vie de Hineman n'est pas sans danger. Dès qu'il arrive, Anderton se fait attaquer par des plantes voraces, yeux de poupée. Cette ambiance rappelle la paranoïa de la ville.

En comparant ce lieu avec la maison de Lara, on remarque qu'il a été bâtit à l'opposé. Ainsi, Hineman est un complément à Lara et à Lamar, ces deux derniers personnages étant totalement opposés. La caractérisation de Hineman est un lien entre eux deux, c'est pourquoi elle s'insère parfaitement dans la trame du film.

2. le 'redimensionnement' de quelques personnages :

  • Lamar Burgess

J'ai choisi ce personnage car il est absolument inexistant dans le récit de K. Dick, et a, dans le film final, une importance fondamentale, puisqu'il va manipuler puis tenter de tuer Anderton. C'est en fait un mélange entre deux personnages du roman qui va donner cette création : John Anderton lui même et Léopold Kaplan. N'existant pas encore dans la version de John Cohen, On constate que Lamar est aussi issu d'un autre personnage, Frank d'Ignazio... Au moins pour son âge !

Dans le récit de Philip K. Dick, John Anderton « devient chauve. Chauve, gros et vieux. » (p.15). « C'est [aussi lui] qui a fondé précrime » (p.17)

Dans le film de Steven Spielberg comme dans le scénario de Scott Frank, il reste au milieu de la trentaine, et c'est Lamar Burgess qui prend se rôle protecteur.

Observons à présent le personnage de Léopold Kaplan. Il est une instance supérieure à Anderton, en tant que ex général dans l'armée de l'Alliance fédérale du Bloc Occidental [… qui] traitait immédiatement les duplicata des cartes (p31). C'est aussi Léopold Kaplan qui est le cerveau pour inculper John Anderton, afin que John Anderton ne le tue finalement pas, donc montrer une faille du système, et reprendre la main sur précrime.

L'armée a été enlevée par John Cohen, pour ne pas troubler trop ce qui se passait. Lamar, en tant que 'créateur' de précrime, est une instance supérieure à Anderton, ce dernier étant simplement un bon employé. Il sait donc mieux qu'Anderton comment fonctionnent les précogs, le rapport minoritaire, les échos... il peut donc utiliser les précogs contre Anderton.

John Cohen avait créé, en éliminant l'armée, le personnage de Frank d'Ignazio. Un voisin plus âgé que John Anderton, déjà là dans le milieu de la trentaine. Un voisin retraité qui cultive des tomates, et qui n'existait que la première demi-heure environ. Au bout de cette demi-heure, Frank d'Ignazio se suicidait dans les bras de John Anderton, au bout de la première demi heure, parce que les précogs l'avait vu commettre un meurtre.

On se souvient qu'à la fin du film, Lamar, se suicide dans les mêmes conditions.

  • Ed Witwer

Pour le cas d'Ed Witwer, qui deviendra dans le scénario de Scott Frank Danny Witwer, nous n'allons parler du scénario de John Cohen que d'une façon parcimonieuse. Dans ce scénario, Ed et Anderton sont deux amis de longues dates, travaillant main dans la main depuis plusieurs années. Il y a donc une énorme modification de caractérisation entre la nouvelle et ce scénario, puis un énorme retour vers la caractérisation de la nouvelle, dans le scénario de Scott Frank.

Dans le livre, Ed Witwer arrive juste, et, à l'opposé d’Anderton, il est jeune, avec un brin d'insolence (p16).

Witwer a une la coupe militaire. Que se passait-il sous ce crâne aux cheveux ras ? (p16) se demande Anderton.

Dans le film, c'est Anderton qui a la coupe militaire. Witwer a plus une allure de beau gosse, mais qui travaille dans bureau.

Danny Witwer est moins enthousiaste au début du film. Afin d'expliquer au spectateur le fonctionnement de précrime, c'est lui qui va être choisi pour se mettre en opposition avec la logique métaphysique. On retrouve un dialogue du livre :

Anderton repris : « […] Nous arrêtons des individus qui n'ont nullement enfreint la loi.
– Mais s'y apprêtent, affirma Witwer avec conviction.

(p18)

Mais inversé dans le scénario de Scott Frank :

Witwer :
But it's not the future if you stop it. Isn't that a fundamental paradox?

(p21)

Ceci va donner lieu à montrer visuellement ce concept de la prédétermination, de la théorie des futurs multiples (p42) de K. Dick :

Suddenly, Anderton rolls the ball toward Witwer who catches it just as it's about to go off the table.

Anderton:
Why did you catch that?

Witwer
Because it was going to fall

Anderton :
[…] But it didn't fall. You caught it.
[…] The fact that you prevented it from happening doesn't change the fact that it was going to happen.

(p22)

Il retrouve alors la caractérisation que lui avait initialement donnée Philip K. Dick.

Dans le livre, c'est le futur successeur d'Anderton. Il considère la machine parfaite (p16).

Dans le film, c'est un envoyé du ministère, pour une inspection de précrime. Après la démonstration d'Anderton avec la boule, il va chercher à déifier les précogs (p25). En tant qu'employé du ministère, il doit trouver 'la faille'

Witwer :
And if there's a flaw, it's human.

(p26)

Faille qu'il trouvera chez Anderton, avec la drogue, et chez Lamar, avec l'écho d'Agatha sur Ann Liveley.

  • Agatha

Dans les quatre versions, Agatha a trois noms différents. Dans le roman, elle s'appelle Donna. Dans la version de John Cohen, elle commence sans nom, puis elle s'appelle Rose, le dernier quart d'heure. Dans le scénario de Scott Frank et le film de Steven Spielberg, elle fini par s'appeler Agata.

Il y a, par ordre de création, une Donna-embryon reliée par des câbles aux calculateurs de la salle d'analyse.

« Avec leur têtes aux proportions anormales et leur corps au contraire tout ratatiné, ces trois créatures bafouillantes et gauches » (p18)

Puis, John Cohen transforme Donna en un être attendu, qui finira par s'appeler Rose.

« And then, slowly emerging from the mists of darkness, a pale, beautifully proportioned FACE

« The oval face is a female, a woman of indeterminate age, her features as fragile as porcelain. Her eyes are closed in sleep, or in death... or in something between.» (p1)

Enfin, dans la version de Scott Frank, Rose est devenue Agatha.

« A FEMALE FACE starting now at us -- eyes blue as gas flames – floating in some sort of WHITE LIQUID as she looks up and speak » (p1)

Dans les quatre objets, John Anderton revient dans l'enceinte des murs de précrime pour prendre avec lui un des précogs.

Dans le roman, c'est Jerry qui fourni un rapport minoritaire, et Anderton ne s'occupe pas de Donna. Donna n'est pas très bien caractérisée.

Difformes et attardés [...] Surtout cette fille, là, Donna. A quarante cinq ans, elle en paraît dix. Leur don de précognition absorbe tout le reste. Le lobe psi modifie radicalement l'aire frontale.

(p19)

John Cohen puis Scott Frank ont noté que si Donna était la plus difforme et la plus attardé, ce n'est que physiquement, puisqu'elle a un 'lobe psi' plus développé que les deux autres précogs.

C'est donc la meilleure, et elle n'a pas d'existence propre (petite misogynie caractéristique de cette époque (1950), voir la caractérisation de Lara ci-après). John Cohen va lui en donner une.

Rose :

No one cared we were human. From a human mother. […] Enslaved, for the greater good […] But now I have a name. And I know the man who has named me will not allow me to be enslaved again.

(p64)

Nous voyons au travers de cette citation que le lieu où reste le précog est l'équivalent du ventre maternel, où l'enfant n'a pas encore de nom. L'enfant reçoit son nom à partir du moment où toute la question fut de lui en donner un. Il y a trois précogs dont une femme dans un laboratoire très sécurisé. Il y a aussi des données autours d'eux. Si l'on ne touche pas aux précogs, la tension dramatique n'aura pas été exploitée jusqu'au bout.

C'est pourquoi dès la version de John Cohen, John Anderton va sortir la précog de ce lieu.

  • Lara

Lara s'appelait Lisa dans le récit de Philip K. Dick ainsi que dans le scénario de John Cohen. Elle avait la même caractérisation, un peu effacée et un peu misogyne de l'époque de la parution de la nouvelle.

[Lisa tien John en joue]

Oui. On retourne au siège de la police. Je regrette. Si tu avais pu placer le salut du système au dessus de tes intérêts égoïstes...
– Rengaine ton sermon [, répond Anderton] Je fais demi-tour, d'accord, mais je refuse de t'entendre défendre un code de conduite auquel nul homme intelligent ne souscrirait. »

(p52, chez K. Dick)

Dans le scénario de John Cohen, Lisa doit juger des personnes qui n'ont pas enfreint la loi (p6 : and then, I prosécute them), et s'enfermer pour passer les deux disques en boucle (p55 : Lisa stares, watching her husband murder his best friend, endlessly) pour vérifier lequel est vrai ou faux. Elle s'y enferme relativement longtemps, pour 'a cop's dream' (p6.) Au delà, nous sommes dans des considérations qui sont peut être personnelles.

Scott Frank a modifié plusieurs choses. Il a rapproché, comme vu ci-dessus, Frank d'Ignazio de la police, en la personne de Lamar Burgess, et il en a par la suite éloigné Lisa. Comme elle ne faisait plus du tout le même métier – photographe est là encore curieusement relié à l'image – Scott Frank a décidé de la renommer Lara. Mais s'il l'éloigne de la police, ce n'est pas pour l'exclure d'un rôle fort dans le film. C'est elle qui prend l'initiative de revenir chercher John, maintenant qu'elle est sure que sa paranoïa est finie.

  1. la création dans l'adaptation

1. le travail réalisé sur la mort, entre prévisions et action

Dans le texte de Philip K. Dick, il y a deux meurtres.

  1. Le meurtre d'un homme qui a réussit il y a cinq ans ;

  2. Le meurtre de Léopold Kaplan par John Anderton.

La façon dont ils ont été prévus :

  1. prévu ;

  2. prévu.

Les précogs voient toutes sorte de délits, du meurtre au délit mineur 'Pour le reste, la plupart ne prédisent que des délits mineurs : vols, fraude fiscale, agressions, chantages.' (p21) On note que la notion de suicide est totalement absente de la nouvelle.

  1. Précrime n'a pas été assez rapide pour arriver sur les lieux.

  2. Il n'y a pas de rapport majoritaire pour le meurtre d'Anderton : il y a trois rapports minoritaires.

John Cohen a du développer la nouvelle pour la faire tenir en une heure un demi environ, donc le concept de base de la précognition.

  1. Le meurtre de la fille de Frank d'Ignazio ;

  2. Un suicide examiné par un docteur ;

  3. le suicide de Frank d'Ignazio ;

  4. Le meurtre d'un des précogs par Ed Witwer ;

  5. Le meurtre d'Ed Witwer par Anderton.

La façon dont ils ont été prévus :

  1. c'était avant l'apparition des précogs ;

  2. pas prévu ;

  3. prévu comme le meurtre de Frank d'Ignazio sur le meurtrier de sa fille ;

  4. pas prévu ;

  5. prévu comme tel.

Ce script amène une restriction, sur la précognition : les précogs ne voient que les meurtres sont une formule de groupe. Ils sont exceptionnels : il n'y a qu'eux, tandis que dans Dick, chaque département de premier plan possède sa réserve de précieux singes (p20 de la nouvelle). L'étude d'un suicidé est réalisé car Anderton est nostalgique de l'époque où il fallait courir après les meurtriers : maintenant, il faut leur courir... 'avant'.

Witwer truque les cartes pour prendre la place d'Anderton : il n'y a plus de question de rapport majoritaire ou non : c'est une question de vils instincts.

Dans le scénario de Scott Frank et le film de Steven Spielberg, ils ont modifié les personnages, ce qui entraine un redéploiement différent des actions. Je ne vais pas parler du meurtre du père de Witwer, car c'est dit 'entre deux portes', et justifie assez caricaturalement pourquoi Witwer travaille dans la police'. Ainsi nous avons chronologiquement :

  1. La disparition de Sean, sa mort étant un dogme dont personne n'a eu la confirmation ;

  2. Le meurtre d’Ann Liveley par Lamar Burgess ;

  3. Le suicide de Leo Crow ;

  4. Le meurtre de Witwer par Lamar Burgess ;

  5. Le suicide de Lamar Burgess.

La façon dont ils ont été prévus :

  1. avant l'apparition des précogs ;

  2. prévu comme le meurtre d’Ann Liveley par X (différent de Lamar Burgess) ;

  3. prévu comme le meurtre de Leo Crow par John Anderton ;

  4. pas prévu

  5. prévu comme étant le meurtre d’Anderton par Lamar Burgess.

Le film laisse les précogs ne voir que le futur, pour pouvoir jouer avec la subtilité des situations, et la frontière mince avec le suicide. Il font eux aussi fonctionner les précogs en groupe, mais pas de la même façon : ils font d'Agatha la plus douée dans ce jeu, donc indispensable pour être sûr. Ils en font donc une clef avec un enjeu plus fort que dans le scénario de John Cohen, et autrement plus puissant que dans la nouvelle initiale. Ils ne montrent pas d'étude de suicidés, car Anderton veut arrêter les assassins avant qu'ils ne commettent leur forfait.

Ce n'est plus Witwer qui en veut à Anderton, mais cette fois Lamar Burgess. Anderton risque de remuer trop le passé à son goût. La question du rapport minoritaire est là aussi éliminée, mais elle se retrouve dans la question du libre arbitre, question qu’Anderton développe face à Lamar avant que ce dernier ne se suicide.

Au final, on note qu'à ce niveau sanglant, tout ce qui est dans la nouvelle est dans le film. On a bien un tueur qui a tué bien que les précogs sachent tout des lieux et de la victime. On a aussi, du point de vue de Witwer comme de Burgess, Anderton qui commet un meurtre.

Le scénario de Scott Frank a aussi tout repris du scénario de John Cohen, en en changeant l'ordre. Le suicide de Frank d'Ignazio dans les bras d'Anderton, c'est celui de Lamar Burgess à l'hôtel Willard. Le suicide de Frank d'Ignazio à cause du 'meurtrier de sa fille', c'est celui de Leo Crow. Mais aussi Ann Liveley qui meurt parce qu'elle veut revoir sa fille (p.109). Le suicide analysé par le docteur, c'est la tentative de John Anderton, après la disparition de son fils, décris brièvement par Lara (p65), vraisemblablement pour obtenir le divorce. Le meurtre de Witwer devient la prévision des précogs du meurtre de Lamar.

2. les nouveaux yeux

a. le travail autours du changement d'yeux

Les bandes magnétiques sont de nos jours dépassées. L'histoire que Philip K. Dick a écrite ne m'a pas apparue comme une critique du 'texte', car la nouvelle ne se présente que comme une tragédie (l'homme connait son futur, fait tout pour y échapper, mais abouti quand même à ce futur). Le film de Spielberg interroge l'image (voir la deuxième partie du 15 mai). Nous savons de nos jours que le code rétinien est unique à chaque personne. L'iris, plus précisément. L'iris qui permet de voir les images. Pour sortir de l'enfer dans lequel il est descendu (pour ne pas être repéré dans cet enfer, pourrions-nous dire) John Anderton doit perdre ses yeux, perdre son identité.

Ce ne sont pas les mêmes personnes qui parlent de la possibilité de changer d'yeux, au début du film. Dans le scénario de John Cohen, il n'y a que Witwer qui parle du changement d'yeux (en intercut avec Anderton, comme s'il parlait à Anderton, p34). Mais ce changement d'yeux est mal vu de la part des autres personnages en place.

Dans le scénario de Scott Frank, il y aura l'aveugle qui amènera la possibilité de façon philosophique (p17), puis deux personnes qui en parleront, avant que John Anderton ne fasse le pas : Gidéon et Iris Hineman.

Gidéon est la ''sentinelle'' dans le scénario de Scott Frank. Veillant sur les morts et sur les fantasmes qui deviennent réels. Il est caractérisé par son nom :

Gédéon arriva; et voici, un homme racontait à son camarade un songe. Il disait: J'ai eu un songe; et voici, un gâteau de pain d'orge roulait dans le camp de Madian; il est venu heurter jusqu'à la tente, et elle est tombée; il l'a retournée sens dessus dessous, et elle a été renversée.

Son camarade répondit, et dit: Ce n'est pas autre chose que l'épée de Gédéon, fils de Joas, homme d'Israël; Dieu a livré entre ses mains Madian et tout le camp.

(Sainte Bible, livre des juges, chapitre 7, versets 13 – 14)

En tant que ''Sentinelle'', il sait logiquement comment échapper à la surveillance de l'image, lui qui surveille les rêves.

De même, Iris Hineman sait comment sortir de ce guêpier en changeant de rétine. Elle est aussi caractérisée, à ce niveau, par son prénom. C'est elle qui a conçu précrime, elle sait donc comment lui échapper.

b. l'arc dramatique autour des spiderballs

S'il y a un moment fort dans le film, ce n'est pas le moment où Anderton change d'yeux, mais celui où il risque de se faire repérer par la police, juste après ce changement, et où Anderton risque en contre partie de devenir aveugle si les spiderballs le scannent.

Le scénario de Scott Frank reprend l'idée de John Cohen, de faire intervenir la police lors d'un contrôle des immeubles de la zone (p41), mais Scott Frank rend l'action beaucoup plus dramatique. Il resserre l'action, tout en faisant monter les policiers jusqu'à coté de la porte – John Cohen les laissait au rez-de-chaussée – et fait de l'aveuglement de John Anderton non plus quelque chose auquel il pourrait échapper – coup de théâtre chez John Cohen : au moment où Anderton ouvre son œil, le temps est écoulé, et il continue donc de voir comme avant – mais une fatalité : il place temporellement l'arrivée des policiers six heures avant qu'Anderton puisse ouvrir les yeux.

Scott Frank a rajouté le bain duquel s'extrait Anderton, et il a joué avec les capteurs thermiques, déjà présent dans le scénario précédent. Il ajoute à la version de John Cohen le concept de la renaissance : lorsque précrime scanne thermiquement le bâtiment, Anderton n'a pas encore l'usage de ses nouveaux yeux. Il reste John Anderton. Puis, les spiderballs sont lâchées dans le bâtiment. John Anderton se fait un bain froid, y ajoute des glaçons, puis pénètre dans l'eau gelée. Précrime voit la disparition d'Anderton, et se décide à aller voir.

Les spiderballs trouvent un chemin pour entrer, et ne trouvent rien. Précrime arrive à coté de la porte. Les spiderballs se préparent à partir, lorsqu'une bulle s'extrait du nez d'Anderton. Les spiderballs voient les yeux. Au moment où précrime allait ouvrir la porte, le scan est réalisé. On note le temps du scan, beaucoup plus long que d'habitude, pour que le spectateur sente bien qu'Anderton devient borgne. Précrime part, Anderton est borgne. Mais ceci fait écho à la réplique du dealer aveugle :

In the land of the blind, the one eyed man is King

(p17)

Tandis que chez Cohen, Anderton pour se sauver va chercher à fuir la spiderball, ce qui amène une scène grotesque. On perd toute la sensibilité qu'exprime Scott Frank.

Conclusion :

Beaucoup de personnes ont critiqué Minority report à sa sortie. Une remarque qui est assez souvent revenue est que Spielberg s'emparait d'un matériau narratif de base – Minority report, Jurassic Parc... – pour en faire quelque chose d'autre. J'ai découvert le livre longtemps après avoir vu le film. Mais il m'a semblé, en revoyant le film à nouveau après cette lecture, que cette critique était infondée. C'est pourquoi j'ai souhaité étudier le travail d'adaptation de la nouvelle qui a donné ce film. Le film est certes beaucoup plus développé que la nouvelle. Mais, comme j'ai cherché à le démontrer, toutes les bases de la nouvelle sont présente, et sublimées : l'acte de Spielberg est loin d'être une trahison. Si l'on avait tourné le film en partant du script de John Cohen, il y aurait eu trahison, car tout le coté tragique de l'histoire aurait disparu au profit d'un film grotesque. Trop grotesque pour être crédible.

On a vu que les thèmes étaient conservés et approfondis. Le futur créé par Spielberg est au plus proche de la réalité, pour réaliser un récit crédible qui ne soit ni cartoon ni grotesque. Je n'ai pas la prétention de dire que je viens de réaliser une étude exhaustive de l'adaptation, des scénarii ou du film. Nous pourrions nous pencher sur plus de thèmes. Nous pourrions développer celui de l'onomastique, par exemple : elle permet un rapprochements entre deux êtres à priori totalement opposé tels que Lamar et Lara ! Ils sont rapproché par le choix de leur prénoms.

Le livre est une œuvre lue, le film est une œuvre vue et entendue. On ne lit pas un film, et lorsque Witwer montre le mandat à Anderton, c'est lui qui le cite de mémoire (p23). La nouvelle de K. Dick reste une bonne œuvre, et le film de Steven Spielberg est à mon sens un très bon – beau – film. J'ai pris quelques exemples d'objet littéraires – le fonctionnement de précrime, la mort dans le film ou le personnage d'Agatha – afin de montrer leur évolution au travers des scénarii, jusqu'au film, afin de présenter leur aboutissement en objets filmiques. Je me suis aussi arrêté sur la transformation du futur de K. Dick en un futur de 2002, afin de noter que la notion de futur est une notion qui reste figée dans un temps précis (1956 dans le cas de la nouvelle) et qui est sublimé par Steven Spielberg qui use de sa façon de le filmer pour le figer dans une œuvre et non plus dans une époque : des personnes qui ont vu le film seulement une fois ne se souviennent que de l’écran à partir duquel Anderton remet les images en place pour avoir un futur cohérent, travail qu’il va démonter pour avoir un futur après ce futur.

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