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Un amour fictif
19 avril 2010

Apocalypse Now I

Apocalypse Now, première partie (la seconde sera postée dans la semaine)

apocalypse_now

Scénario et réalisation : Francis Ford Coppola

Après avoir cherché ce qui caractérisait The Rain People du même Francis Ford Coppola, je vous présente mon étude sur Apocalypse Now.

Description du corpus
Après une préparation qui a duré plus de trois ans, et un tournage mouvementé, Francis Ford Coppola sort sur les écran Apocalypse Now, le 15 aout 1979 aux États Unis, film qui a rapporté plus de 78 millions
de dollars sur ce territoire. Cette fiction se déroule lors de la guerre du Vietnam : le capitaine Willard, interprété par Martin Sheen, doit remonter le fleuve au-delà de la frontière cambodgienne pour retirer son commandement au colonel Kurtz, interprété par Marlon Brando.

Initialement projeté en work-in-progress au 32ème festival de Cannes, avec deux fins différentes, ce film est ensuite sorti sur deux formats de pellicule différent. Le premier, en 70mm, présente le même film que le second format, en 35mm. Une différence subsiste cependant : la version du film en 70mm n'a pas de générique. Après une belle carrière de plus de vingt ans et plusieurs nouvelles sorties en salle, cette réalisation a connu une réédition en 2001 sous le titre Apocalypse Now Redux, qui ajoute 53 minutes au montage initial afin de peaufiner l'ambiance de cette Odyssée, et affiner les thèmes développés.

Sujet et problématique

Notre étude s'intéresse au film et aux échos des ses thématiques dans le cadre des années 70, tant dans le traitement des personnages, dans la matière cinématographique apportée que les réponses proposées. Il est donc exclu de prendre en compte toute versions ultérieures.

Dans le premier montage visible sur les écrans, les spectateurs de ces années ont retrouvé toute une cosmogonie créée par leurs interrogations profondes. Si cette fiction y apporte des réponses, ces dernières sont presque définitive : suite à la parution de ce film, il y eut un tournant non seulement dans la représentation de la guerre au cinéma, mais aussi dans la conception même du ciné-spectacle. Notre hypothèse est que ce film clôt les interrogations cinématographique qui eurent lieu durant la décennie précédente.

Plan
Afin de comprendre de quelle façon ces questions n'ont plus lieux d'être ensuite, ou alors sérieusement revues et corrigée, il faut commencer par étudier les personnages et leurs rapports au sein de cette œuvre, avant d'observer l'objet filmique qui en est induit. Enfin, nous serons à même de nous demander quels sont les questions thématiques auxquelles Coppola a définitivement répondu.

I - Les personnages

Le premier intérêt d'un film, ou de toute autre œuvre dramatique, c'est le conflit. Ce conflit se présente ici comme une opposition entre le capitaine Willard et... le colonel Kurtz. Or, Kurtz n'apparaît qu'à l'extrême fin de la fiction. Pendant son voyage, Willard se demande en fait, comment cet homme, officier exemplaire, est devenu fou.

Willard

C'est un protagoniste sans antagonistes. Soûlé dans sa chambre d'hôtel à Saïgon, il se refait sans cesse la guerre du Vietnam. Ce qui a précédé chronologiquement le film a détruit son identité aussi le capitaine casse-t-il une psyché en s'entrainant au combat rapproché. Depuis il a, au propre comme au figuré, du sang sur les mains. Deux soldats viennent le voir pour le tirer de son ébriété permanente, afin de le conduire à Nha Trang, de façon à ce qu'il aie sa nouvelle mission : tuer Kurtz. Cette mission lui permet de se construire une nouvelle identité : c'est le sujet du film, et le spectateur suit cette construction.

Ce type de personnage n'est pas isolé dans la filmographie de la décennie du Nouvel Hollywood, quel que soit le genre[1] Depuis Easy Rider [2], tourné dix ans plus tôt, le public apprécie ce type de héros qui, comme lui, est désemparé.

Cependant, l'acteur tenant le rôle de Willard ne fut pas simple à trouver. Au départ, Coppola pensait à Steve McQueen, mais leur vision du personnage différait. Pour l'acteur, c'était un homme sûr de lui, qui savait tout et qui faisait le malin. Puis le choix du réalisateur s'est porté sur Harvey Keitel, mais la première semaine de tournage qu'ils ont fait ensemble n'a pas convenu : le public n'aurait pas apprécié de voir ce comédien ne rien faire durant tout le film. Enfin, Martin Sheen a pris le relais, mais il a fallu, au bout d'une nouvelle semaine, faire un ajustement supplémentaire pour qu'il entre mieux dans le personnage... et que les spectateurs ne le rejettent pas[3]. Ainsi, le public avait beau être habitué à un type de héros, il faut noter qu'il est aussi sensible à des personnalités. Steve McQueen était une star, mais surtout, son visage rond et marqué d'une bonhommie apparente, n'aurait jamais convenu à cet être déchiré qu'est Willard.

Le personnage et l'acteur trouvé, Coppola peut le construire, au travers d'une suite d'absurdités : les caméramans qui se présentent pour qu'on ne les regarde pas, l'engrenage de violence provoqué par les hélicoptères pour des rouleaux de 2m qui s'aplatissent à cause du napalm, une forêt détruite à cause d'un tigre... Cette suite d'anecdote conduit intérieurement Willard à Kurtz.

Cette trajectoire intérieure est marquée, à l'extérieur, par un isolement progressif[4]. Plus il progresse en amont du fleuve, moins il comprend. Plus la mort s'empare des personnes qui l'entourent, et plus elle perd de son sens. Ceci permet aux ténèbres de s'avancer tant et si bien, que la tête décapitée de Chef, qui a une allure christique, fait penser, au-delà de la mort d'un homme, à la fin d'une religion, à la fin d'une croyance, à la fin d'une foi. Tout ce en quoi il croyait ayant disparu, Willard peut alors monter dans le temple -- cette ascension étant autant physique que mentale -- pour devenir un double de Kurtz.

Le colonel Kurtz commence par être présenté au spectateur comme un fou. Puis, en écoutant le premier enregistrement diffusé par la bande sonore, il se présente lui-même comme tel. Sa voix et son phrasé travaillés vont eux aussi dans ce sens. Puis, le deuxième enregistrement est mis à disposition de Willard : Kurtz apparaît soudain beaucoup plus prévoyant, plus sceptique, donc, plus du tout fou.

" Nous devons les tuer. Nous devons les incinérer. Porcs après porcs. Vache après vache. Village après village, armée après armée... et ils me traitent d'assassin. Comment appelle-t-on ça, quand les assassins accusent un assassin. Ils mentent. Ils mentent et nous devons nous montrer clément envers ceux qui mentent[5].

Le phrasé reste le même. Les mots qu'il prononce sont recherché, même s'il en avale la plupart. Le scepticisme se lit dans sa position, où il se met sur le même pied que l'état lui-même. Cette tirade ne cherche pas à provoquer l'esprit de l'américain, car ce dernier sait que la guerre du Vietnam est plus proche d'une guerre impérialiste que d'une guerre défensive. Kurtz reste néanmoins égocentrique ce plaçant au même niveau que l'état.

Pourtant, il n'y a pas de " théorie du complot " dans ce film, comme l'aurait put être les trois jours du condor par exemple. On retrouve pourtant une trame presque équivalente : un officier se détache de l'armée pour faire en secret ce qui ne doit pas être connu du pays tout en le servant. Mais dans le cas de Apocalypse Now, c'est de son propre chef que le colonel s'est détaché, pensant par là même mieux aider son pays. Bien que le conspirationisme soit une mouvance répandue aux États Unis, donc que le film de conspiration, comme par exemple Conversation Secrètes, y soit apprécié, on ne peut affirmer que ce film puise totalement dans ce genre, bien qu'il en respecte les règles principales, qui sont un héros face à un ennemi puissant, le héros faisant l'expérience d'un monde incertain pour trouver cet ennemi.

" Il était près. Il était tout près. Je ne  le voyais pas encore, mais je sentais sa présence. Comme si le bateau était attiré vers l'amont, là où l'eau de la rivière retournait à la jungle. Quoiqu'il arrive, rien ne se passerait comme ils l'avaient souhaité à Nha Trang[6].

Ainsi que l'a édicté ce genre au fil des films, l'ennemi peut se trouver partout, bien qu'au fur et à mesure, Willard arrive à lui donner un contour et une personnalité. L'ennemi se trouve partout, ainsi qu'en témoigneront ensuite les jets de flèches, tirés de la jungle. Durant cette fiction, que représente alors ce " partout " ? C'est la nature qui enserre le fleuve.

La nature Coppola en a fait un personnage dans ce film. Un personnage puissant, tout puissant, qui avale tout. Le pond de Do Lung ;  ce B-52 dont il ne reste plus que la queue ; Willard lui-même, lorsqu'il est baigné contre son gré dans la boue, alors qu'il est dans le campement de Kurtz. A cause de sa force, ce nouveau personnage, dérange la logique dramatique.

Finalement, pour se reconstruire, le protagoniste doit affronter la nature pervertie par les avancées mécaniques humaine (le patrouilleur, les armes à feu, les hélicoptères...). Il doit vaincre le plus fidèle représentant de cette nature, celui qui replace l'homme à son niveau le plus primitif en se situant d'abord de façon mégalomane au même niveau que ceux qui organisent l'armée -- ou en les descendant à son niveau -- et en montrant les travers générés par cette hiérarchisation arbitraire --  par exemple des jeunes formés à tuer de sang froid, mais qui n'ont pas le droit d'écrire d'obscénités sur leur avions. Coppola a expliqué sa pensée lors d'une rencontre préparatoire avec Marlon Brando[7]

" L'ennemi était présent, mais je l'ai éliminé parce que j'avais peur d'ouvrir une boite de Pandore que je n'aurais pas pu refermer. Je veux faire fusionner la présence de l'ennemi avec celle de la jungle... On voit flotter tout l'arrière d'un B-52, avalé par la rivière. [le bateau de Willard] s'en approche. C'est comme si la rivière avalait tout. Ça résume tout. La jungle, les forces naturelles de la Terre mangeront tout ce dont nous devons nous débarrasser. "

Première conclusion : L'ennemi contre lequel se bat Willard n'est donc pas seulement puissant, il est tout puissant. Nous avons vu que la définition de Willard devait prendre en compte le rapport acteur/personnage pour se former, en prenant en compte le faciès. Une fois cette relation équilibrée, cette fiction propose une opposition entre deux membres de l'armée, mais nous avons montré que la force -- et la déification finale du colonel -- tient en ce qu'il a partie liée avec quelque chose qui le dépasse : la nature. Ainsi, même s'il a coupé les liens avec l'armée de son propre chef, rompant ici avec le traditionnel film de conspiration, Apocalypse Now en retrouve néanmoins les codes en créant un lien fort entre Kurtz et la nature.

[1]J.-B. Thoret, Le cinéma américain des années 70, Paris, Cahiers du cinéma, collection " essais ", 1987

[2]Dennis Hopper, Easy Rider, prod. Peter Fonda, 1969.

[3]P. Cowie, le petit livre de Apocalypse Now, Paris, Cinéditions, 2001.

[4]J.-P. Chaillet, C. Vivianni, Coppola, Paris, Rivages, collection " cinéma ", 1987.

[5]We must kill them. We must incinerate them. Pig after pig. Cow after cow. Village after village, armee after armee... and they call me " an assassin ". But how call it, when the assassins accuse an assassin. They lies. They lies and we have to be mercifull with those who lies

[6]He was close. He was real close. I could not see him yet but I could feel him. As of this boat was being sucked up river and the water was flowing back to the jungle. Whatever
was going to happen, it was not going to be the way they called it in Nha Trang.

[7]Conversation entre Marlon Brando et F. F. Coppola, cassette audio, American Zoetrope Research Librairy (AZRL), Rutherford, Californie.

Je continuerais de poster ma seconde partie dans la semaine...

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