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Un amour fictif

13 septembre 2011

départ

Bonjours à vous,

 

Je vous informe que j'ai changé de serveur : je suis désormais sur blogspot :

http://tomthomaskrebs.blogspot.com

 

à bientôt !

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21 août 2011

The Future

Je vous donne le nouvel ébergeur de ce blog : http://tomthomaskrebs.blogspot.com

 

The Future

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Écrit et réalisé par Minada July

 

The Future raconte l’histoire d’un couple de 35 ans qui a un mois pour s’inventer une vie, avant que n’arrive pour perturber les deux membres un chat ramassé sur la route. Ce mois d’attente, c’est le mois pendant lequel la SPA de Los Angeles garde le chat sous contrôle.

  

Le film se découpe clairement en trois actes ainsi qu’un prologue et un épilogue racontés par ‘le chat’ en voix off. On ne voit pas le temps passer. Le premier acte est certes un peu lourd, la réalisatrice ayant eu des difficultés à mettre en place l’histoire des personnages. Ces apparaissent comme deux loosers, l’un travaillant pour un centre d’appel informatique alors qu’il voudrait devenir grand chef d’état et l’autre souhaitant devenir grande danseuse mais donnant des cours dans un cadre somme toute ridicule comparé à ses ambitions.

 

Difficulté aussi à mettre le thème de son histoire en place : la proposition qu’offre le futur. Les deux personnages ont un temps limité pour modifier leur futur avant que le chat ne s’insère dans leur vie, et ils vont devoir jouer (bluffer) ce temps, ce futur qui n’est pas encore arrivé et pourtant déjà là.

 

Ceci mis en place, ce film est un délice. Chacun de leur côtés, ils vont chercher à vivre ce qu’ils ne pourront plus faire ensuite, et tous deux rencontreront un homme âgé. Sophie rencontre Marshall, la figure âgée du père protecteur mais veuf, avec sa jeune fille, Gabriella. Jason, son petit ami, rencontre pour sa part Joe, un papy veuf, lui aussi, et reflétant la générosité même… tant pour sa femme que pour ce démarcheur (Jason démarche pour lutter contre le réchauffement climatique, un rêve de gosse).

 

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Au début du film, bien qu'ensemble, Jason et Sophie vivent séparés...

 

Là-dessus, les deux protagonistes se perdent dans leur voie, Sophie devenant petit à petit l’amante de Marshall et la mère de Gabriella, quand Jason devenant pour sa part le fils de Joe. Mais comme tant Sophie que Jason s’aiment mutuellement, Sophie avoue à Jason qu’elle le trompe. Ou du moins, elle n’en a pas le temps, car Jason arrête le temps (comme le jeu auquel ils jouent, arrêter le temps, à la première séquence, se figeant sur place). Dès lors ce met en place une urgence : d’un côté, Sophie imagine (ou vit) une vie avec Marshall et Gabriella, et de l’autre, Jason ne veut pas que Sophie s’échappe. Seulement, et c’est là que la poésie s’insère réellement dans le récit alors qu’elle n’était auparavant que superficielle, le temps n’est pas réellement arrêté, et continue de passer quand dans sa bulle, Jason, lui, le voit stoppé. Au final, tant Sophie que Jason passeront voir le chat trop tard, et ce dernier aura décédé.

 

Puis, c’est la réconciliation, en mi-teinte, filmé en retrait, ne proposant justement pas de réelles retrouvailles, mais disséminant des indices sur ce qu’il peut se passer ensuite.

 

On a la joie de voir que nous ne sommes pas dans un film manichéen, comme le sont la majorité des films américains, et où tout est apporté avec finesse.

 

Miranda July est, parallèlement à son début de carrière de cinéaste (elle a été primée avec Moi, toi et tous les autres, son précédent et premier film, en 2005) une artiste américaines, travaillant sur tous les supports (sculpture, danse, vidéo, scène…). On retrouve ici une sensualité tendre. La couleur jaune est symbolique : elle enveloppe d’abord les jeunes enfants auxquels elle apprend à danser, comme un jeu. Elle retrouve plus tard un T-shirt qui s’avance (littéralement) sur le sol de la route et vient la rejoindre un soir. Depuis 15 ans, son professeur de dance attendait que Sophie fasse une grande œuvre, et là, en s’enveloppant dans ce vêtement jaune, elle se met à aboutir une création sensuelle… magistrale. On reconnait au moins une influence (Lamentation de Martha Graham) reprenant le principe du ‘tube’ qui représente l’obsession qu’à le corps à vouloir s’y enfouir ou s’en sortir.

 

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Ultime chorégraphie... le corps de Sophie parle pour elle...

 

Pour résumer, après un début laborieux, le film se goûte comme une sucrerie, une goute de fraicheur en cet été chaud… pour finir, voici le trailer :

 


THE FUTURE : BANDE-ANNONCE VOST Full HD

3 août 2011

Super 8

Je vous signale le nouvel ébergeur de ce blog : http://tomthomaskrebs.blogspot.com

 

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Super 8 est l’histoire d’un garçon qui pour faire le deuil de sa mère doit renvoyer un extra-terrestre dans l’espace.

En tournant un film de zombie en super 8, un groupe de collégiens voit une voiture entrer volontairement une collision avec un train. Ce train transportait diverses chose top-secrètes, et à partir de là, les ennuis commencent.

 

Ce film écrit et réalisé par J. J. Abrams est un très bon divertissement. Ceux qui n’ont apprécié ni les séries Alias et Lost, dont il est le créateur, ni Mission Impossible 3 ou Armageddon, dont il fait partie du pool de scénaristes, auraient pu attendre pire. Ce film étant plus un hommage à ceux de la décennie 80 réalisés par Steven Spielberg, aussi sommes nous dans un tout autre territoire, un tout autre univers que ceux susmentionnés. De fait, ce film aurait pu s’appeler « quand le monstre de Cloverfield rencontre Elliot, héros d’E.T. l’extraterrestre ».

 

Je ne vais pas tergiverser plus longtemps sur des points de vues personnels, sinon que comme beaucoup de spectateurs, je regrette la fin, à partir du moment où les personnages principaux vont chercher la fille (action qui fait par ailleurs curieusement penser à la fin de Cloverfield). Dès ce moment, on passe d’un film nostalgique à un film d’action, plutôt musclé, avec des révélations qui arrivent après une repentance exprimée dans le dernier dialogue précédant – l’évolution des différents personnages est trop rapide (même pour le méchant militaire).

 

Je vais axer mon étude sur le lien entretenu entre l’extraterrestre et l’homme sur le sol terrien dans les films américains. Tout d’abord, un bref historique, qui débute après la première apparition officielle de soucoupes volantes, en 1947 : 

 

Comme s’il avait fallu 4 ans pour que l’information sorte sur les écrans de cinéma américains, ce dernier s’est emballé sur le sujet à partir de 1951. L’un d’eux s’appelle Le Jour où la terre s’arrêta (The Day When the Earth Stood Still, même année) et fut réalisé par Robert Wise. Ce film présente un extra terrestre, Klaatu, et tient un propos optimiste sur les rapports entretenus entre ce dernier et les humains. Hormis cette fiction, les Extraterrestres se mettent à envahir le monde (représenté, bien évidemment, par l’Amérique) : La chose d’un autre monde (1951), Zombie of the Stratosphère (1952) mais surtout Les envahisseurs de la planète rouge (Inviders from Mars), Phantoms from Space, la chose d’un autre monde (It Came from Outer Space), La guerre des mondes (The War of The World première version, réalisée par Byron Hasking), tous de 1953. L’emballement cinématographique continue jusqu’à présent, avec quelques exceptions (2001, l’odyssée de l’espace ; 2001, a Space Odysee, Stanley Kubrick, 1968, par exemple).

 

Le mur de Berlin chuta en 1989, et dans l’année qui suivit, le communisme décéda. La ligne idéologique des films changea alors, avec Mars Attacks (1996),  Men In Black (1997)… la preuve la plus claire est le discours du président américain dans Independance Day (1998), qui aurait pu passer dix ans avant, mais qui fait ici propagande[1].

 

Puis, un évènement non négligeable se produit : les deux plus hautes tours du World Trade Center sont détruites le 11 septembre 2001, toutes deux perforées par un avion. L’asseau avait aussi visé le pentagone (ou la maison blanche selon d’autres versions). Presque 10 ans après, les extraterrestres reviennent (ils ne nous avaient jamais vraiment quittés, puisqu’il y eut entre 2002 et 2008 Men in Black 2 (2002) et MIB 3 (2007), Alien Versus Predator (2004) parmi les films les plus commerciaux) Cependant, le dernier film cité, croisement des deux franchises que sont Alien et Prédator, propose quelque chose que l’on n’avait jamais vu avant : les deux espèces extraterrestres se déchirent sur terre, sans prêter une réelle attention aux humains qui se trouvent entre eux. Puis suivirent les films Cloverfield  (2008) District 9 (2009), puis désormais Super 8 (2011). Je n’ai pas cité Paul (Greg Mottola, 2011) car je ne l’ai pas vu ; je m’en tiendrais cependant aux différentes critiques que j’ai pu en lire.

 

D’un point de vue idéologique, pour faire simple, hormis les quelques exceptions du type Le jour où la terre s’arrêta, 2001 : L’odyssée de l’espace, E.T. l’extraterrestre, etc. et jusqu’à la chute du mur de Berlin, l’extraterrestre représente idéologiquement ce que l’américain déteste. En l’occurrence, le Russe. Afin d’appuyer cette symbolique, l’extraterrestre est souvent seul. Puis, après cette chute (et grâce aux progrès de l’informatique et de la 3D) au lieu d’y avoir un ET, il y en eu plein. Les humains ne se chargeant plus que de gérer cet afflux de population. Même s’ils restent moins beaux que les hommes certains de ces derniers restent abordables, dotés de projets louables, comme éliminer les vilains (voir Frank, l’extra-canin de MIB II). Souvent, dans ces derniers films, les humains ne sont présents que parce que les E.T. règlent leurs problèmes sur terre. Après tout, pour deux groupes d’ET qui mesurent 10 mètres de hauts, les humains, de haut de leur deux mètres, ne sont que de maigre importance (je pense ici aux Autobot et Decepticon, extraterrestres issus de la franchise Transformers). Enfin, AVP, Cloverfield, District 9, Super 8 proposent des extra-terrestres d’un nouveau point de vue. Leur rapport aux humains est plus ténu : il échappe même aux protagonistes. Certes, il ce rapport joue un rôle direct vis-à-vis des personnages principaux (détruire New York, régler un différent en y faisant participer malgré eux des humains, être des réfugiés à libérer) mais à la base, ils sont bons. Ils obéissent donc dans ces films à une nouvelle idéologie. Désormais, tant District 9 que Super 8 (ou même Paul) ces films travaillent sur la théorie du complot. Les héros ne comprennent pas parfaitement les tenants et les aboutissants de leur action.

 

L’idée de Super 8 est donc de faire de l’extraterrestre, initialement méchant, un gentil-extraterrestre-devenu-méchant-à-cause-du-traitement-inhumain-que-lui-ont-fournis-les-humains-pendant-13-ans. De travailler avec un extraterrestre qui a tant de problèmes le ramène à des choses humaines, des rapports humains. Et comme ce sont ses derniers qui sont la cause, la morale reste sauve. Après tout, la morale est aussi bon enfant que celle du film Avatar de James Cameron, se situant sur la planète Pandora. Finalement, plus que le 11 septembre 2001, c’est la présidence de Bush qui a marqué les esprits. On peut supposer que sa loi sur le Patriot Act ait débouché sur cette multiplication de théories du complot (tant dans les films d’Extraterrestres que dans d’autres genres). Les hommes de pouvoirs sont devenus les méchants.

 

Désormais, observons les visuels des extraterrestres qui arrivent sur notre planète. Je regrette que les américains n’en aient produit que trois types : les humanoïdes, le plus aboutis étant Klaatu, différencié des humains par sa taille, les atrophiés (tant le Predator que la charmante bête de Super 8, s’éloignant de l’icône des débuts, qui se retrouve in fine dans Paul, une critique du genre) ou les choses autres (celui de 2001, l’odyssée de l’espace). Ceux qu’ils ont produit jusqu’à présent le plus sont les atrophiés… qui finalement deviennent des extraterrestres normaux, sans imagination.

 

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L’extraterrestre en 3D sans la texture définitive, Super 8

 

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Le predator avec ses dreads, Predator

 

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Paul, l’extraterrestre iconique par excellence, Paul

 

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Klaatu, devant son robot, l’extraterrestre le plus proche de l’humain, le jour où la terre s’arrêta

 

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Le monolithe, extraterrestre très différent de notre perception, 2001, l’odyssée de l’espace

 

 

L’image que j’ai choisi pour montrer cet être et le comparer aux autres n’est pas la plus évidente, car sans textures, ce n’est finalement qu’un masque, comme un personnage dans un scénario avant qu’il ne soit incarné par un acteur. Les points communs avec Paul sont la tête ovoïde et l’écrasement du nez. Il est intéressant de faire le parallèle entre ce nez absent et l’être humain, puisque c’est le nez, sur notre profil, qui permet de nous reconnaître (déjà les égyptiens l’avaient compris, et ne représentaient dans leurs peintures que des profils). Ainsi, cette absence de nez est synonyme d’absence de différenciation avec d’autres. Ensuite, le point commun partagé entre l’extraterrestre et le Predator est l’énorme bouche. Les deux crochets du Prédator ouvrent la peau de sa bouche en grand, laissant apparaître des dents acérées. Dans Super 8, la bouche s’ouvre en quatre, laissant là encore voir une mâchoire qui n’est pas très séduisante.

 

Il faut ici ouvrir une petite parenthèse. Aristote considérait le monstre comme quelque chose de non fini, d’imparfait. Les films de monstres (le loup garou par exemple) proposent une vision du corps de l’adolescent – qui peut aussi se transformer en corps de la mère, comme dans Braindead (Dead Alive, Peter Jackson, 1992). Ici, le jeune Joe va trouver l’extraterrestre enfouis dans un cimetière pour sauver la vie d’Alice, qui ne le laisse pas indifférent. Cimetière ou est enterrée sa mère, morte quelque mois auparavant. Étant donné qu’il fini par lui faire face, on peut voir en cet extraterrestre une représentation symbolique de la mère de Joe (qui apparait à la caméra après qu’il ait maquillé celle qui va devenir son amie, Alice, et qui disparait une fois que le vaisseau a récupéré le collier qu’elle lui avait laissé).

  

Revenons-en à la bouche de cet être. Dans le film, nous la voyons rarement fermée, toujours légèrement ouverte, montrant ses crocs aiguisés. Il peut à présent être rapproché avec d’autres lèvres, celles du vagin (et les crocs supposent que retourner dans le ventre de cette maman n’est pas garantis sans risques.

 

Seulement, pour la vision d’une mère, elle n’a rien de sympathique dans le visage. Certes, elle est morte, et il vaut mieux qu’elle arrête de tourmenter son fils (qu’elle quitte ce monde pour un autre, littéralement), mais il n’y a entre eux aucune ancienne complicité qui se fait jour. Je pense que cette bête n’aurait pas du être affreuse mais fascinante (ce qui aurait justifié d’autant plus que les militaires la conservent). Cela aurait permis de justifier plus que Joe, le jeune garçon, lui tienne tête. Par là même, son discours aurait obligatoirement été plus profond (même si juste les mêmes paroles avaient été prononcées). Et la fin du film aurait pu être d’autant plus belle.

 

Pour finir, voici le trailer :

 


Super 8 - Bande-Annonce / Trailer [VF|HD]

 

 
 


[1] Si vous souhaitez trouver l’analyse de ce discours, je vous conseille le site ‘l’empire du spectacle’, à la page : http://0z.fr/I4VDR

19 juillet 2011

Berserk - l'ère des châtiments - le cycle des enfants perdus

Je vous signale le nouvel ébergeur de ce blog : http://tomthomaskrebs.blogspot.com

Berserk – L’ère des châtiments – le cycle des enfants perdus

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Berserk est un manga au long cours écrite par Kentaro Miura. Elle raconte les aventures d’un personnage nommé Guts, et de toute la communauté qui l’entoure, dans un médiéval fantastique sombre. Le début de la publication date de 1990 au japon. Kentaro Miura en avait déjà écrit un prototype à l’université, en 1988 (prototype publié dans le tome 14).

 

 

Sur le genre :

 

La fantasy est un genre initialement cantonné aux milieux anglophones. Il présente des actions inspiré des légendes et du bestiaire nordiques, de façon relativement manichéenne. La traduction française du terme fantasy est celui de médiéval-fantastique.

 

Donjon et Dragon fut créé par E. Gary Gygax et Dave Arneson en 1974, à partir d’un wargame, Chainmail, lui-même créé par G. G. et Jeff Peren en 1971. Le jeu de base est donc un jeu de guerre sur plateau. Donjon et Dragon ajoute des caractéristiques pour le faire basculer, avec des personnages fantastiques (elfes, etc.). c’est le premier jeu de fantasy, au sens français. Il fut l’un des premiers jeux de rôle à être commercialisé à partir des années 1970.

 

Suite à la domination américaine (1945-1952), les japonais connurent la naissance de Donjon et Dragon (ce qui n’est pas le cas de la France, la première traduction française datant de 1988). C’est notamment par ce biais qu’ils se sont familiarisés avec l’univers de la fantasy en produisant des œuvres types comme Les chroniques de la guerre de Lodos, ou Final Fantasy.

 

Berserk présente un univers d’un sous genre de cette fantasy : la dark fantasy. La traduction française de ces termes est médiéval fantastique sombre. Effectivement, l’époque décrite dans cette épopée est rongée par les guerres et plus généralement la violence : l’armement des personnages fait penser à celui de la guerre de cent ans. D’un point de vue purement formel, la dark fantasy se rapproche de l’horreur, de par le traitement réaliste des combats, par exemple. Mais le coté épique de la quête l’en éloigne.

 

L’avantage que connait la dark fantasy sur la fantasy est la profondeur du propos. La dark fantasy se plongeant dans un monde à priori mauvais, le manichéisme de la fantasy n’y a plus droit de cité. Dès lors, il apparait que la plupart des œuvres de dark fantasy interroge plus viscéralement les choix de l’Homme : comment faire le bien dans un monde vérolé ?

 

L’ère des châtiments :

 

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Berserk suit donc les tribulations de Guts, un guerrier mercenaire vivant au jour le jour. L’histoire est prévue en plus de 50 volumes. Une première arche de ses aventures vient de se clore au quatorzième tome : il s’agissait de la présentation de ce personnage et de sa fréquentation avec la troupe du faucon menée par Griffith, et l’effondrement de cette dernière, qui donne à Guts un fils mi-humain mi-démon.

 

Le cycle des enfants perdu ouvre la première ‘ère’, et est publié sur trois tomes, du 14° au 16°. Ma lecture s’est arrêtée après le 16° tome pour faire cette étude. Je vais analyser cette histoire uniquement, tirée de l’œuvre de Kentaro Miura.

 

Résumé :

 

Guts affronte Rosine, une ex-enfant devenue elfe démoniaque, et possédant une Béhérit grise. Jill, jeune fille qu’il sauve au début de l’histoire fini par protéger Rosine, qui est son ancienne amie.

Parallèlement à cela, l’Ordre des Chaines Sacrées (Ordre qui apparait au début de cette histoire) suit les traces de Guts, pensant suivre celles du Faucon Noir (c'est-à-dire celles de Griffith métamorphosé).

 

Quel est le monde de cette histoire ?

 

C’est une variation sur quelques lieux symboliques : d’abord un arbre, vu comme porteur de mort (l’arbre de la forêt où ont été éviscérées plusieurs personnes), porteur de vie (l’arbre à cocon), ou porteur d’insouciance (l’arbre que découvre Puck dans la vallée des brumes). Un village ensuite, bâtit par l’homme (comme celui où vit Jill) ou naturel (celui des elfes) ; ces deux villages sont sur des hauteurs, étant donné que celui où vivent les humains se situe sur un plateau rocheux, quand l’autre, où vivent les elfes, semble contenu dans l’arbre.

 

Ensuite, d’autres lieux sont placés : forêt ou désert de pierre.

 

Enfin, le dernier lieu visité est celui de « l’air ». Successivement, Jill puis Guts ont une scène dans les airs, alors qu’ils sont portés par l’elfe Rosine.

 

Les décors de cette histoire laissent entrevoir une modulation sur des questions de vie, de mort et de transcendance d’une part, et de l’apport de l’homme sur la nature d’autre part (question qui sera déclinée entre l’imaginaire de l’adulte et celui de l’enfant, qui entraine tout le reste).

 

Le réseau de personnage :

 

  1. Les sept étapes dramatiques

 

Les sept étapes de la structure narrative ne se basent plus sur une structure extérieure au héros, comme il vient d’être fait dans l’étude des décors, mais partent du personnage principal. Il faut donc avant tout définir le héros. Le protagoniste, présent à chaque chapitre de l’œuvre de Kentaro Miura est Guts. Mais celui de cette histoire, celui qui est le plus secoué et qui prend le plus de décision est Jill, la fille que Guts découvre sur le point d’être éviscérée.

 

A partir de là, l’auteur nous montre successivement ses faiblesses puis ses besoins, son désir et son adversaire, avant de présenter son plan, la confrontation finale puis le nouvel équilibre dans lequel elle vit, finalement.

 

Faiblesse : c’est une fille (« sexe faible ») d’une douzaine d’année qui vit dans un pays en guerre perpétuelle.

Problèmes : elle ne sait pas se défendre.

Besoin : s’échapper de ses obligations « de fille » (futur tracé dans les limites de sa mère)

Désir : fuir avec Guts

Faux-Alliée/Adversaire : Rosine

Plan : retrouver son amie Rosine qui a fui il y a des années, et qui semble maintenant mener une belle vie.

Confrontation finale : Elle se bat contre Rosine, qui n’est qu’un être qui s’est réfugié dans un monde de fiction pour ne pas subir le monde tel qu’il est, tout en l’appliquant cependant.

Révélation personnelle : elle doit se battre chez elle, dans le réel de son village

Nouvel équilibre : elle décide de mener son combat dans son village, d’y rester et de protester, avec espoir.

 

  1. Le réseau des personnages

 

 

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Maintenant que l’histoire a été découpée selon les objectifs de l’héroïne, le réseau des personnages peut se construire. Ce réseau lie les personnages pour donner une force morale  l’histoire. Il montre que les personnages sont à la fois liés et opposés aux autres. De plus, les personnages sont tous liés ainsi à la thématique de l’histoire, portée par Jill, et abordée dans le travail des lieux

 

Tout d’abord, définissons les personnages d’après leur fonction dans l’histoire et l’archétype auquel ils empruntent le plus souvent.

 

Jill est donc le personnage principal, l’héroïne de l’histoire. Elle porte le désir de s’émanciper, mais a des défauts, il lui manque notamment une force (physique) pour s’affronter à sa famille. L’archétype qui est le plus proche de son personnage est celui du rebelle, qui a le courage de dire non au système, mais qui souvent ne trouve pas d’autres alternatives que de simplement détruire, sans rien avoir à reconstruire ensuite.

 

Son adversaire principal est Rosine. Ancienne amie, elle est devenue « la reine des elfes » et de se fait, elle cherche à attirer à elle Jill. Elle veut la faire devenir une elfe à son tour. C’est à priori un objectif louable, mais si tout ce passait tel quel, elle enferme Jill dans le monde du conte, tout en l’empêchant de s’émanciper (elle passerait simplement de la domination de ses parents à celle de Rosine). Rosine cherche donc à empêcher le plus Jill d’assouvir son désir. Elle reprend pour son compte l’archétype de la reine (de la mère) voulant créer autour d’elle un cocon pour que rien ne l’atteigne et qu’elle puisse s’épanouir – le cocon étant ici trop restrictif pour que Jill puisse se sentir en liberté. (berserk-27033)

 

A coté de Jill se trouvent deux alliés : Guts et Puck. Ce sont deux parties d’un même être. Guts est le chevalier noir, qui se défend avec une lame pourfendeuse de dragons, tandis que Puck est lumineux, clair, et attaque à l’aide de bogues de châtaignes. Ces différences mises à part, Guts et Puck présentent le même goût de l’humain, le même goût de la vie au jour le jour, c'est-à-dire la même philosophie de la vie. Ces deux alliés sont les adjuvants de Jill, et ici, puisque cette histoire n’est qu’une infime partie de l’œuvre de Kentaro Miura, ils ont un objectif qui leur est propre. Ces deux personnages reprennent cependant chacun un archétype précis. Guts pour sa part reprend celui du guerrier : c’est le champion physique du bien. Mais comme il vit selon le principe de « tuer ou être tué » ses intentions peuvent rester obscures. En témoigne l’action où il tient un jeune garçon à bout de bras, pour attirer les elfes à l’extérieur du village. Puck, pour sa part, reprend l’archétype du clown. Comme un juge des actions de Guts, il n’arrive pas toujours à le suivre. Il en va de même lorsqu’il porte conseil à Jill : il montre ce qui ne fonctionne pas, ce qui ne peut fonctionner. Sa faiblesse est sa petitesse et son non-discernement des actions qui se déroulent.

 

Enfin, si Zeppek, le père de Jill, est observé, il se trouve être un faux adversaire, puisqu’à la fin, il finit allié de Jill… même cette dernière ne l’écoute pas. Il reprend l’archétype du roi qui régit ici sa famille avec détermination, tout en leur imposant de suivre une discipline stricte qui est réductrice de leur liberté.

 

 

Maintenant que le rapport général des personnages à leur fonction a été établi, il faut à présent les individualiser pour leur donner un point de vue unique au sein de la thématique de l’histoire. Ainsi, le problème moral au sein de l’histoire interroge la façon dont on peut s’émanciper de sa famille, tout en proposant deux pistes : se réfugier dans le conte d’enfant (choix de Rosine) ou devenir soi-même adulte (objectif final de Jill).

 

Dès lors, il apparait que Jill s’oppose à Rosine, mais aussi à d’autres personnes : Guts, qui ne voit dans les personnages monstrueux comme Rosine que des êtres à abattre ; et son père, Zeppek, qui lui reste dans un monde qui n’est pas de contes pour enfants, mais de contes pour adultes, tels les batailles auxquelles il a participé durant la guerre qui a précédé l’histoire. Elle s’oppose aussi par moments à Puck, qui veut qu’elle reste humaine, alors qu’elle ne sait quelle solution choisir.

 

A présent, étant donné que Jill et Guts se partagent à priori la place de héros dans cette arche, puisque Guts est, pour les aficionados, le personnage récurent donc le héros, tandis que Jill est l’héroïne de cette petite histoire, il faut faire en sorte que cette dernière mène l’histoire, que toutes les avancées soient dues à ses choix. Kentaro Miura en a fait quelqu’un de fascinant, en la montrant doué d’une certaine force de caractère, tout en restant très malléable aux propositions, notamment celles de son amie. Afin de créer une empathie pour le héros, il en a fait une jeune fille d’une douzaine d’année : il a condensé le personnage féminin (donc accepté comme faible) et celui de l’enfant (donc innocent, ne sachant où il va), tout en la montrant victime de tentatives toutes plus horribles les unes que les autres, telles que le viol ou l’éviscération. En contre partie de Jill, Rosine est quatre ans plus agée, et bien que belle avec ses ailes de papillon, elle en demeure cependant monstrueuse (au sens propre de chimère) pouvant changer d’un visage pur à une figure démoniaque. Rosine attire moins que Jill. Enfin, la trajectoire de Jill, formulée différemment, est de passer d’enfant à adulte, soit en remettant en question les principes auxquels elle a cru depuis sa naissance.

 

L’histoire

 

En détaillant les personnages, leur rôles, leurs archétypes et leur individualité, l’histoire, si nous la composions, aurait presque été écrite, car fondée sur la base solide des rapports à la thématique. Seulement, pour l’écrire, il faut savoir vers où les personnages courent. Voilà pourquoi je vais porter un intérêt particulier à la phase de la révélation, sous deux angles.

 

Tout d’abord, dans quel cadre s’effectue-t-elle ? A ce moment du récit, Jill est douée de raison, c'est-à-dire qu’elle peut faire la différence entre ce qui lui apparait comme le bien ou le mal (et qui à fortiori est bien ou mal du point de vue de l’auteur). Mais parallèlement à cette donnée, Jill n’a toujours pas révélé son choix, quand à la direction à suivre (rester enfant ou devenir adulte). De plus, voir que Rosine, la reine des elfes, pouvait ainsi changer et devenir un monstre (physiquement comme mentalement) l’a choqué.

 

Elle est donc prête à subir sa révélation, qui est spectaculaire, puisqu’elle se jette sur Rosine, elle sacrifie sa propre vie si la lame de Guts tombe, pour que son ancienne amie puisse continuer à vivre. Ce faisant, Jill comprend qu’elle s’est mentie, puisque Rosine n’a désormais plus de famille, et sera désormais un « paria », comme le protagoniste que l’histoire qu’elle raconte à Guts précédemment au cours de l’histoire.

 

A présent, définissons le débat moral de l’histoire, et par elle, afin de comprendre comment la thématique peut être si facilement définie, après coup.

 

Le système de valeur sur lequel s’appuie Jill, au début de l’histoire peut s’exprimer sous la forme « le monde surnaturel est à priori meilleur que le monde naturel. » Effectivement, elle verra Guts comme un fantôme d’un autre monde venue la sauver… Ce qui amène sa fuite du monde naturel, son village, sa famille (faiblesse morale), tout en montrant, de façon sous jacente, son besoin moral : vaincre ses croyances pour progresser dans son monde à elle.

De fait, la première action immorale de Jill est à l’encontre de Puck, qu’elle fuit car elle croit qu’il fait partie d’elfes bien précis, ceux de la vallée des brumes, qu’elle craint.

 

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Construction

 

Cette histoire se présente clairement en trois actes. Le premier se déroule sur six chapitres, le deuxième sur onze chapitres et le dernier sur six chapitres à nouveau. Le premier se déroule dans deux lieux (arbre mort et zone ‘civilisée’, humanisée), le second présente une progression géographique jusqu’à l’arbre aux cocons (soit sept lieux), et le dernier se déroule sur trois lieux : les airs, la vallée des brumes et l’espace de fuite où Guts explique à Jill qu’elle doit se battre sur son terrain et non le suivre.

 

Le premier acte de ce cycle peut se comprendre comme une histoire complète, qui se finit par un cliffangler, qui relance le deuxième acte : Guts annonce un ‘changement de plans’, à la fin du premier chapitre du tome 15, après une double révélation : les elfes tués par Guts redeviennent humain… mais restent mort (ici brûlés) ; Rosine, la reine des elfes, est une amie ancienne de Jill. Observons-en la construction :

 

Tout d’abord, dans la structure même, il y a un travail de symétrie qui a été effectué :

 

Le prologue autour du lac de sang prophétique est mis en échos avec l’épilogue des ‘enfants brulés’, par le thème de la mort. Pour ceux qui n’ont pas pu lire ces chapitres, je rappelle que le lac de sang est peuplé de monceaux de cadavres, dans un état de décomposition avancé par rapport aux dépouilles calcinées. De plus, l’Ordre des Chaînes Sacrées, couvert de blanc (et versé dans des matières occultes – ils parlent de sabbat – tout en les niant) rappellent aussi l’attitude des parents, obnubilés par les corps de leurs enfants. L’Ordre comme les parents font un rapprochement trop rapide entre le faucon noir et Guts, et le tueur d’enfants et ce même Guts. (je me permet de déborder pour préciser qu’il apparait ensuite logique que l’Ordre arrive au village au moment même où les enfants sont en train d’être bénis à l’enterrement).

 

En avançant d’une scène depuis le début et reculant d’une scène depuis la fin, des liens lient à nouveau très fort la scène qui débute réellement l’histoire, autour de l’arbre démoniaque, et la scène finale, à l’étable. Les lieux tout d’abord : l’arbre démoniaque est isolé dans la forêt. De même, l’étable est à l’écart des autres habitations. Ensuite, l’ordre des types d’opposants à Guts se présente sous la forme humain-démons dans la première scène puis démons-humains. Dans les deux cas, les hommes ne comprennent pas ce qui se passe. Seule Jill, elle, en a conscience, comme le gamin, à la fin.

 

Ensuite, la séquence entre les malandrins qui entrent dans la vallée des brumes n’est pas sans faire penser à celle, à la fois symétrique et opposée, où Guts trouve enfin le repos dans le moulin.

 

Enfin, la scène centrale au village est bâtie sur un principe de symétrie et d’opposition : le village inanimé au début fait écho à celui plein d’agitation de la fin, et la violence du père de Jill face à cette dernière (vêtue avec le manteau de Guts) appelle à celle de la violence de Guts par rapport aux villageois, avant sa fuite.

 

Je ne tiens pas compte, dans cette construction, des arguments qui sont échangés, qui eux aussi, ont des rapports de symétrie, mais surtout de tension : alors qu’au début, Guts détruit l’arbre et sauve ainsi Jill, à la fin, il détruit les démons et sauve par là même le village… même si les villageois ne le comprennent pas de la même manière.

 

Ayant lu ces trois tomes de Berserk, j’ai vraiment apprécié cette histoire, qui, par sa limpidité, ne m’a pas laissé un instant de répit. Il y a certes moins d’oppositions, de combats avec des monstres… mais surtout, cette histoire fait un lien avec les cinq premiers tomes de Berserk qu’elle poursuit : Souvenez vous, au début du premier tome de ses aventures, Guts rencontre Puck et se bat contre un homme qui a une dilection pour sa fille, souhaitant franchir le pas. Puis, Guts se souviens de son aventure, depuis sa naissance, puis dans la bande du faucon aux cotés de Griffith, et qui s’achève avec la naissance du fils de Casca (enfant-démon à la fois de lui et fils de Griffith qui le suit depuis lors toutes les nuits). Parallèlement, lors du sabbat clôturant l’aventure précédente, un jeune garçon, nommé Rickert, faisant partie de la bande du faucon, et qui devait rester  en arrière, avait été éloigné de ses camarades par une fille papillon (alors inconnue) qui prend avec cette histoire le nom de Rosine.

 

 

20 juin 2011

City of Ember - La cité des ombres

Je vous signale le nouvel ébergeur de ce blog : http://tomthomaskrebs.blogspot.com

City of Ember – la cité des ombres

 

CDO_titre 

Réalisé par Gil Kenan

Scénario de Caroline Thompson, d’après le livre de Jeanne Duprau

 

Ce billet est plus un billet d’humeur qu’une réelle analyse. J’ai vu ce film. J'ai aussi vu une partie de Stardust (la première demi-heure, le dernier quart d’heure). Je ne les ai pas aimés.

 

L'histoire est celle de Doon et Lina qui veulent sortir le reste de l'humanité de la cité des ombres, cité enfouie où elle est resté confinée 200 ans. Mais le maire actuel de la ville ne semble pas du même avis.

 

Plusieurs choses me dérangent dans ce film. La bande originale, tout d'abord, est mièvre et trop présente. Elle ne prévient pas : elle assène au spectateur le sentiment qu’il doit avoir à tel ou tel moment.

 

Les décors sont trop faux. Je ne parle pas d’un rapport à un réalisme que n’aurait pas ce film. Il présente une cité enfouie, et je ne vais pas remettre ce choix en question. Mais il y a trop de matte painting, c'est-à-dire trop de décors réalisés en 3D et mal incrusté dans la scène. On sent l’absence de ses décors dans le jeu des acteurs, qui est moins assuré. De plus, cela amène à des aberrations cinématographiques, et des plans qui ne servent pas le propos. Sous prétexte de ‘présenter’ un lieu, la caméra fait des mouvements amples, souvent trop rapides, qui, s’ils présentent effectivement le travail des infographistes, ne font pas progresser l’intrigue. Je veux dire que la poudre aux yeux retombe vite (ou en appelle au marchand de sable), et ce, quel que soit le film. En parlant de poudre aux yeux, à nouveau, je ne parle pas de la magnificence des décors, mais du fait de savoir tenir une caméra. Dès qu’un plan s’éloigne trop de la façon de filmer qui a été définie, à force de tâtonnements, autours des années 1920, et que ses plans ne reprennent pas spécifiquement d’autres formes acceptées comme telles (le jeu vidéo, la course de voitures, par exemple) la scène donne simplement l’impression d’être mal filmée.

 

Mais laissons là les problèmes de réalisations qui ne concernent pas spécialement ce blog. Observons le scénario et ses problèmes. C’est l’histoire de deux enfants qui veulent sortir de la cité des ombres, qui a été confinée deux siècles auparavant sous terre, pour que la surface du globe se régénère.

 

C’est une grosse production américaine, adapté d’un livre (je ne l’ai pas lu mais je suppose qu’il est bon, puisqu'il a eu droit à une adaptation) pour un budget de 55 000 000$. Je me demande pourquoi une production aussi chère marque un tel laisser aller. Les incohérences sont légions. Voici celle sur laquelle tient tout le film :

 

La première scène explique que l’apocalypse est proche, et que pour sauver l’humanité, il faut créer une citée sous-terraine, pour que les hommes y vivent durant 200 ans. Les savants de l’époque mettent des documents dans une boite qui a un compte à rebours électronique (c'est-à-dire avec des numéros rouge, c’est utile pour la suite), pourqu’enfin, le moyen d’en sortir leur soit révélé. C’est un peu absurde de faire ainsi du reste de l’humanité des prisonniers du bon vouloir des savants, mais bon, passons.

 

Seconde scène, intitulée probablement sur la fiche de la scénariste : ''la file des maires est rompue, la boite est oubliée''. Je n’entrerais pas dans les détails de cette scène, car elle recèle en son résumé une incohérence. LA BOITE EST OUBLIÉE. Le spectateur (disons le jeune spectateur, puisque c’est un film pour enfant) est en train de déchanter (c’est cette boite qui va sauver l’humanité !)… une boite qui ne s’ouvre pas avec un compte à rebours rouge. On peut ne plus savoir ce que ça veut dire, il y a quand même le chiffre qui s’affiche et la boite qu’on ne peut pas ouvrir. Mais non, des boites, il semble n’y avoir que ça ici, puisqu’elle est remisée dans un coin où on l’oublie.

 

Ici, encore, ça peut passer : après tout, c’est l’espoir de l’humanité, donc les héros vont devoir la retrouver pour sauver l’humanité. Ils feront certainement sortir cette dernière du trou où elle s’était enfermée pendant 200 ans. Sauf que plus tard, dans le film, Lina doit aller voir le maire, et dans le couloir qui y mène, elle voit, et le spectateur aussi, que les maires ont tous la fameuse boite, avec le décompte des années. De plus, nous avons appris depuis qu’il n’y a qu’une seule boite de ce type dans la citée.

 

CDO_boite

les chiffre ne veulent absolument rien dire,

il ne faut pas s'arrêter à cette information...

 

Je ne sais pas. Quelque chose m’échappe. Il y a suffisamment d’éléments pour souligner l’importance de cette boite, mais non, elle est laissée aux orties. Enfin, il n’y a pas d’orties dans ce monde (avec un peu de mauvais esprit, j’ajouterais : il n’y a que des caméras qui ne savent pas s’arrêter).

 

Autre incohérence : les gens de l'humanité n'ont plus aucune idée du dehors. Mais, éparpillé (notamment chez le père de Doon, le héros) il y a des livres détenant des descriptions et des dessins d'insectes. Mais bon, tout le monde ignore ce que sont ces ‘terres inconnues’. La liste est encore longue.

 

 Je suppose que c’est parce que ce sont des enfants que la scénariste ne s’est pas posé ce type de question. Je parle bien de la scénariste, car si l’erreur est dans le roman, elle aurait pu chercher à la corriger.

 

 

Autre chose à présent. C’est un film d’aventure pour enfant, aussi doit-il en respecter les poncifs. Notamment l’attaque par une taupe mutante (elle est géante). Notamment la gentille abeille mutante elle aussi (la proportion d’agrandissement est la même), donc elle est grosse comme un chat. J’accepte parfaitement qu’il y ait ses animaux. Mais font-ils peur aux personnes de cette ville ? On n’en parle pas, alors que la taupe en avale quand même une ou deux ? et que le passage entre les égouts (c’est là qu’on la voit) et la ville à l’air d’être des plus simples ? C’est amusant, parce que la taupe prépare évidemment la fin, puisque… mais je ne dirais rien, je tairais ce qui arrive au méchant. Cette préparation qui devait influer sur l’état d’esprit des gens, voir poser plus de problèmes aux protagonistes pour qu’ils puissent atteindre les égouts… et n’en pose aucun.

 

Dernière chose sur la taupe. Elle fini par poursuivre nos deux héros. Doon avait, auparavant, repéré une trappe dans le plafond des égouts, qui mène directement aux entrepôts. La trappe laisse difficilement passer deux personnes en même temps, et je précise que la taupe bouche le passage lorsqu’elle se déplace dans les boyaux tortueux des égouts, alors que quatre personnes n’auraient pas énormément de problèmes pour se croiser. Ainsi donc, l’animal poursuit à tout allure nos deux héros (et la mallette que Lina ne perd jamais). Ils ont une petite avance, et arrivent sous la trappe. Doon y fait monter Lina, puis lui rend la mallette. A ce moment là, la taupe arrive sur eux...

Je me demande ce qu’elle va faire. Elle a deux possibilités : la facile, elle s’attaque à Doon. La plus difficile, elle tient absolument à la chair d’une fille qui n’est pas encore pucelle, aussi se doit-elle de détruire la moitié de l’entrepôt pour y entrer depuis les égouts.

 

Oui, Monsieur Truby, script-doctor, je veux bien croire que l’on peu classer les types de personnes dans un « ordre émotionnel » vis-à-vis du spectateur, c'est-à-dire, que l’on aura plus d’empathie pour un enfant qui risque de se faire déchirer par un monstre que si c’est une femme, et encore moins si c’est un homme. Mais bon y’a des fois où les animaux ont tellement potassé leur anatomie du scénario (édition nouveau monde) qu’ils prennent des décisions certes spectaculaires, mais totalement absurdes. Là-dessus, on ajoute les plans qui ne veulent rien dire, puis le garçon qui attire la taupe dans un piège formé par deux étagères placées de guingois pour que la bête ne puisse plus avancer, alors qu’au début de la scène, elle a quand même défoncé trois mètres de béton armé. Enfin, je dis ça…

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Le trou qu'a fait la taupe mutante en entrant... 

 CDO_piege

Les étagères dans lesquelles elle reste coincée.

 

Ceci m’amène à ce qui m’a presqu’outré. La fille, qui semble d’un premier abord plus gaie, plus dynamique que le garçon, ne prend aucune initiative. Tellement que ça en devient navrant. C’est toujours le garçon qui les prend à sa place. Et elle ne dit rien. Elle ne dit jamais rien. Elle a la connaissance (elle est de la famille d'un maire, son ailleul, qui a conservé la boite à l'abris des yeux). Mais bon, on ne va pas se battre contre des clichés ! Oui, l’homme est plus fort que la femme. Oui, la femme met l’homme en valeur. Oui, le méchant est stupide. Oui, il meurt à la fin. Oui, tous le ramassis de clichés qui se retrouvent dans ce film. Non, ce n’est pas un bon film. Ce n’est pas parce qu’il y a des clichés, mais c’est parce qu’il y en a trop.

 

CDO_ordre

Le garçon ordonne de sortir, et après un regard signifiant la soumission,

la fille commencera à se déplacer. 

 

En résumé : clichés + incohérences + plans inutiles… si j’en avais un, je n’emmènerais pas mon môme voir ça.

 

Voilà pour La cité des ombres, mais j’aurais pu en dire tout autant de Stardust (quoiqu'il y ait beaucoup plus de plans inutiles). Comme il fait partie de ces films qui confortent le spectateur dans ses croyances, et dans le système intellectuel dans lequel il se trouve, il y a de fortes chances qu’il ait marché. C’est le problème des films pour enfants d’aujourd’hui, qui sont calibrés. Je n’ai pas vu les derniers films type le monde de Narnia, mais de ce que j’en ai oui dire, c’était la même chose.

 

De fait, on se demande souvent quel film aller voir avec des enfants. Des films sont faits pour ça. Du moins, ils sont faits pour une conception de l’enfant comme un sous homme, être qui ne pouvant pas (peu) parler, n’ayant pas (peu) d’expérience, est à priori débile, ce qu’il est rarement. Mais là, nous ressortons du sujet de ce blog.

 

Pour finir, je voici le trailer :

 


La Cité De L'Ombre

 

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29 novembre 2010

Eyes Wide Shut - Nouvelle revee

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Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick et le processus adaptatif : nouvelle, scénario, film

 

 

That is the kind of hero I can be sometimes.

 

Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut [10’]

 

 

 

Stanley Kubrick a travaillé avec le scénariste Frédéric Raphaël sur l’adaptation du roman d’Arthur Schnitzler Traumnovelle[1], afin d’aboutir au scénario du film Eyes Wide Shut. Afin de comprendre le processus qui les a guidés tout d’abord du roman au scénario puis du scénario au film, il nous faut passer par une brève définition de la notion d’adaptation et des questions que posent ce travail. Nous verrons ensuite le rapport de Kubrick à cette notion, en appliquant ce qui a été trouvé sur son travail en général au film qui nous intéresse ici. Enfin, nous nous pencherons plus particulièrement sur l’originalité d’Eyes Wide Shut en interrogeant le travail d’adaptation par l’intermédiaire de deux scènes.

 

 

 

I        ‘‘adaptation’’

 

Le travail de l’adaptation consiste à faire passer une œuvre d’un média à un autre ; généralement, ce passage s’exécute à partir d’un texte qui devient film – on peut aussi voir des adaptations de vies (biopic) ou de pièces de théâtre. Ce travail peut s’exécuter sous plusieurs formes qui ont interrogé les critiques depuis la création du cinéma. Pour un bref historique, nous ne retiendront que deux ouvrages.

 

Le premier est l’article d’André Bazin, intitulé « pour un cinéma impur ; Défense de l’adaptation » paru en 1952. Il y décline trois penchants de l’adaptation que sont la fidélité (avec l’adaptation du journal d’un curé de campagne de Bernanos par Robert Bresson), l’adaptation (prenant ici l’exemple de celle de pour qui sonne le glas d’Hemingway par Sam Wood, filmé dans un style qui correspond à n’importe quel film d’aventure) et la libre transposition (prenant ici des films du type de Citizen Kane qui n’auraient pu exister sans James Joyce ni Dos Passos). C’est sur cette classification que se sont appuyé de nombreux critiques postérieurs, français ou anglo-saxons.

 

Outre Manche et outre Atlantique, ces critiques, si elles admettent la base proposée par André Bazin, restent septiques quand au fait qu’elles soient formellement cloisonnées. C’est ainsi qu’est sorti des presses en 2007 Film Adaptation and its Discontents: from Gone with the Wind to The Passion of the Christ, écrit par Thomas Leitch. Il reprend les thermes présenté par Bazin et les développe dans une dizaine de sous catégories qui peuvent, cette fois, s’entrecroiser. Il présente une catégorie ‘‘glorification de l’ouvrage initial’’, ce qui amène des choix esthétiques et formels, ‘‘ajustement’’, ou comment l’adaptation d’un texte en film oblige à des modifications tant sur la forme que sur le fond, ‘‘limitation néo-classique’’, soit où l’on réarrange l’œuvre originale, ‘‘la révision’’ où cette fois sont créés des anachronisme ou lorsqu’on modernise le texte, ‘‘la colonisation’’ où des éléments totalement absents de l’œuvre originale sont ajoutés, etc.[2]

 

Ces notions s’entremêlent dans la filmographie de Stanley Kubrick, et elles serviront pour l’étude du processus d’adaptation de Eyes Wide Shut, en troisième partie. Tout d’abord, nous devons comprendre les ‘‘marottes’’ de Stanley Kubrick sur chacune de ces adaptations, afin de pouvoir en faire abstraction ensuite, dans l’étude du film proprement dit.

 

 

 

II. Kubrick et ses adaptations

 

Hormis Le baiser du tueur, Kubrick n’a réalisé que des adaptations, aidé par des scénaristes ou romanciers confirmés. Greg Jenkins a étudié la façon dont il a adapté trois récits dans l’ouvrage Stanley Kubrick and the Art of Adaptation: Three Novels, Three Films, paru en 1997. Il a analysé Lolita, The Shining, et Full Metal Jacket. Il en a conclu que Kubrick utilisait onze ‘‘marottes’’ qui faisait que l’adaptation différait du texte de base. Observons-en quelques-unes :

 

Tout d’abord, du roman au scénario, Kubrick réécrit l’histoire, ce qui n’a en soi rien d’anormal. Dans le cadre qui nous intéresse, nous sommes à Viennes en 1925 dans le récit de Schnitzler et à New York en 1999 dans Eyes Wide Shut, aussi des aménagements sont obligatoires, afin de conserver une cohérence pour le spectateur : les coutumes ont évoluées depuis que l’utilisation du téléphone s’est généralisée, et l’on envoie évidemment plus quelqu’un faire la commission. A quelques exceptions près, nous dit Jenkins, réécrivant l’histoire, Kubrick a tendance à simplifier la trame narrative. Il donne l’exemple de Lolita ou le personnage d’Humbert Humbert ne côtoie dans le film que la protagoniste et sa mère, tandis qu’il fréquente beaucoup plus de femmes dans le récit de Nabokov, ou celui de The Shining où il montre que Jack n’est plus l’homme compliqué et frustré, en contradiction permanente avec lui-même et le monde qu’il crée, mais un écrivain que seul l’hôtel hanté transforme en meurtrier. Traumnovelle parle du rapport à la fidélité, mais Kubrick a coupé un certain nombre d’éléments, ce qui ‘‘réduit’’ l’histoire à une relation entretenue entre le fantasme et la réalité, voir, selon Charles Bane[3], un rêve total. Cette réduction répond à un objectif autre de Stanley Kubrick, car, au travers de ce nouveau thème, il réfléchit en prenant une autre voie que celle proposée par Schnitzler.

 

Ainsi, comme il a été mentionné au paragraphe précédant et en toute logique avec la simplification du récit, Kubrick efface des scènes du texte original, des personnages, voir des dialogues. Cette affirmation se révèle d’autant plus vraie que le récit de 1925 raconte l’errance d’un homme dans Viennes et ses environs : supprimer des scènes revient à supprimer des personnages, et actualiser l’histoire en 1999 revient là encore à modifier et ou supprimer des dialogues ‘‘datés’’.

 

Kubrick, ajoute Jenkins, propose des héros plus vertueux et des antagonistes plus pervers. Comme il a coupé des passages du texte, par exemple ce qui s’était passé « l’été dernier » et qui invoquait Fridolin et un flirt, ce personnage, désormais Bill, apparait en toute logique moins déviant, donc plus vertueux.

 

En contre partie, il faut définir l’antagoniste dans ce film, car il est à priori difficile à cerner. Ce dernier peut être Alice, ou la suite de personnes que Bill croise dans son errance. L’homme au masque vêtu de la cape rouge est-il plus pervers que Ziegler ou la prostituée Domino plus pernicieuse que Nightingale ? Ceci est difficile à définir, puisqu’il n’appartient qu’à Bill de se fourrer dans des guêpiers et de tomber de Charybde en Scylla – enfin d’en réchapper à chaque fois de justesse. Comme Fridolin dans le livre, Bill est le seul maître de sa destiné. Cependant, afin de simplifier l’intrigue, Kubrick et son scénariste ont du expliquer ce qui s’est passé lors de l’orgie à laquelle Bill a été témoin. Ziegler, dans une scène rajoutée, lui explique que tout ceci n’était qu’une mascarade, tandis que Bill lui présente la page du New York Post qui parle du décès par overdose d’une junkie qui pourrait être la fille qui l’a sauvé à l’orgie. L’antagoniste semble être Bill lui-même, à défaut d’être le mécanisme mis en place pour lui faire peur. Effectivement, les moyens employés sont plus pernicieux que ceux mis en place pour effrayer Fridolin dans le livre, les évènements s’y croisant de manière beaucoup plus libre.

 

L’affirmation suivante de Jenkins propose que Kubrick diminue le potentiel de violence du livre. Après 80 ans, et suite aux changements de coutumes déjà exprimés, la lecture que l’on en a est de toute façon beaucoup moins violente qu’à l’origine. Or, comme il n’y a ici qu’une violence intellectuelle, la personnalisation des rôles (Fridolin, désormais Bill, est interprété par un acteur, et a donc un visage et une personae particulière) rend le débat d’idée beaucoup plus violent.

 

Ce qui nous amène à la citation suivante de Jenkins, qui affirme avec raison que les films de Kubrick, pour tenir le spectateur en halène, sont formés de plus de nœuds dramatiques que les ouvrages qui ont servis de base à l’adaptation, ici Traumnovelle. Tous les textes ou scénariste qui ont parlés d’Eyes Wide Shut remarquent l’enchevêtrement de ce type de nœuds.

 

La dernière affirmation de Jenkins autours du lien entre le roman et le scénario, concerne la morale qu’apporte Kubrick. Il écrit que les films qu’il propose ont une morale plus conventionnelle que les romans adaptés. Cette affirmation se vérifie à nouveau dans ce film. Kubrick et Raphaël ayant clairement défini les niveaux sociaux dans lesquels évoluent les personnages, il apparait clairement que l’une des morales du film est : les gens de classe moyenne ne peuvent fréquenter autre chose que leur niveau social, tandis que les gens de la haute bourgeoisie peuvent le faire, en quel cas se sera avec des personnes de toutes classes de la société. Tandis que chez Schnitzler, on ne retrouve pas de morale de ce type, tant le récit correspond plus à un débat d’idée transcrit sous une forme fictionnelle.

 

A ce stade d’analyse, nous voyons clairement apparaître des premières spécificités de l’adaptation de Traumnovelle par rapport au travail général de Kubrick, tel que l’a noté Jenkins. Si la plupart de ses affirmations restent exacte, elles diffèrent en ce qui concerne le rapport de violence entre les œuvres.

 

Désormais, penchons nous sur le travail de cinéaste qu’accomplit Kubrick, toujours d’après ce qu’en dit Jenkins, sur la spécificité de l’adaptation ‘cinétique’ du livre, c'est-à-dire, comment Kubrick met-il son scénario en mouvement, comment filme-t-il son adaptation.

 

Jenkins commence par dire que Kubrick invente son propre matériel, un matériel qui se veut simple et épuré, et qu’ensuite, il impose ce matériel à la trame narrative. Ainsi, Kubrick crée un lien entre le thème de ce qu’il veut raconter et la forme qu’il va utiliser, tout en imposant sa patte, soit en faisant de son film un film de Kubrick. C’est le cas ici, dans Eyes Wide Shut, ou des plans longs et généralement mobiles alternent avec de courts plans fixes – nous y reviendront.

 

Greg Jenkins remarque que quelle que soit la façon dont le roman commence, Kubrick ouvre son film avec une séquence très visuelle qui saisit immédiatement l’attention du spectateur. Cette déclinaison s’applique effectivement au film qui nous intéresse. Après l’icône du distributeur Warner Bros, (et le son habituel) Le générique de début apparait en fondu sur la musique nostalgique de Shostakovich From Jazz Suite, Valse 2.

 

 

 

 

 

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Figs 1.1-1.6 : Les six plans du générique d’Eyes Wide Shut

 

 

 

 

 

Les quatre premiers cartouches apparaissent en fondu à l’ouverture (une demi-seconde) et disparaissent dans un fondu aux noirs de même durée. Le premier plan représentant Alice de dos se déshabillant arrive et disparait en cut, la disparition étant suivie d’une seconde et demie de noir avant que le cartouche du titre n’apparaisse, lui aussi en cut, et soit coupé de la même façon par l’ouverture du film qui situe l’histoire dans l’espace et dans le temps : New York contemporain, hiver (probablement 18 ou 19 heures d’après la circulation, il fait nuit). La séquence est visuelle et attire l’intérêt du spectateur par son contenu.

 

Pour sa part, le récit d’Arthur Schnitzler commence avec une mise en abîme de l’histoire : la fille de Fridolin et Albertine lit un passage des Mille et unes nuit. Ce passage décrit  le moyen de locomotion et le costume d’un prince ; la lecture est interrompue avant que nous ne puissions savoir ce que voit son regard. On a du mal a pouvoir retrouver ces paroles dans le début du film.

 

Nous avons donc ici vu comment procédait Kubrick de façon générale avec l’adaptation de Traumnovelle, à partir de son travail général sur chacun de ces scénarios, telle que défini par Greg Jenkins. La spécificité de ce travail ci tient sur le rapport de violence entre le livre et le film, qui parait plus forte et plus intense dans ce dernier. Afin de comprendre plus en profondeur le processus qui a guidé l’adaptation de Kubrick et de Raphaël, nous pouvons à présent nous pencher sur deux scènes du film, et observer le système qui a transformé les passages correspondant en scène, grâce au matériel théorique laissé par Thomas Leitch. Nous allons donc travailler successivement sur le passage où Alice raconte ce qu’il aurait pu se passer l’été dernier avec un officier, puis celui où Ziegler fait des confidences à Bill.

 

 

 

III. Eyes Wide Shut

 

1.   L’histoire d’Albertine/Alice, ou la mise en abîme

 

Dans le récit de Schnitzler, Cette scène est la troisième : tout d’abord, Fridolin et Albertine couchent leur fille. Puis est résumé ce qu’il s’est produit la veille et ce qui se produit ce soir : Chacun posant des questions à l’autre sur le bal qui s’est déroulé la veille, et tous deux jouant avec la jalousie de l’autre. Enfin cette scène. Dans le roman, elle est suivie par une anecdote qui s’est produit au même moment, mais conté cette fois par Fridolin. Nous sommes encore dans la présentation du récit, et c’est la première fois qu’Albertine prend la parole.

 

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Figs. 2.1-2.15 : la scène de l’histoire de Cape Cod

 

 

 

Dans le film, Cette scène achève la seconde séquence. La première concerne le coucher d’Héléna et le bal donné par Ziegler, ce qui se déroule entre Bill, les deux mannequins et la prostitué dans la salle de bain de Ziegler, et ce qui s’est déroulé entre Alice et Sandor. Dans la seconde se déroule une journée type de Bill et d’Alice, puis ils prennent un joint et jouent ensemble à se dire la vérité sur la soirée de la veille : enfin, Alice en vient à raconter cet épisode.

 

Dans les deux cas, il y a mise en abîme : Alice/Albertine raconte. L’histoire est à peu près la même, il y a donc, en suivant la classification de Thomas Leitch, une glorification de l’œuvre originale.

 

Afin de rester sur le personnage d’Alice, Kubrick à choisi de tourner cette scène selon 3 points de vue (avec des zooms différents) et 15 plan, pour une durée de près de 5 minutes (voir page précédente). Il est intéressant de constater que la caméra est plus mobile lorsqu’elle cadre Alice que lorsqu’elle ne cadre Bill. Ce choix permet au spectateur de se concentrer sur ce que raconte Alice, tout en nous montrant quelques retour rapide sur les impressions de Bill. Ce que laisse la mise en scène au spectateur, en fait, c’est de prendre le temps de se créer une image mentale de ce qui s’est passé cet été à Cape Cod. Car c’est à lui, spectateur, de s’imaginer le lieu et les personnages. Alors que dans le roman, c’est un travail habituel, c’est ici dans le film quelque chose d’inhabituel qui oblige un calme à l’image. Ainsi, Kubrick rend hommage à ce qu’a écrit Schnitzler.

 

Cependant, la glorification n’est pas totale, car si l’on s’en tient à ce qui est dit dans le début du roman, on peut voir au travers du personnage d’Albertine celui de Shéhérazade, étant donné que le roman s’ouvre par une lecture des mille et une nuits, et que c’est la première fois qu’elle prend la parole. Plus précisément, Albertine serait une forme de Shéhérazade moderne. Or, comme Kubrick nous a présenté la vie d’Alice par le menu au début de cette séquence, et qu’il a été montré lors de la séquence précédente qu’elle pouvait parler de choses très concrètes dans un état second (les verres de Champagne), l’assimilation à Shéhérazade est ici impossible. Il faut donc qu’il y ait un ajustement. Cet ajustement se trouve tout d’abord dans la personae des acteurs qui interprètent les rôles, et la vision qu’en offre la caméra : chaque personne est visible, et chaque personne est nommée : nous savons déjà que leur enfant s’appelle Héléna, ce qui n’est pas le cas du livre. Parler d’Héléna plutôt que de dire, comme dans le livre, « mon enfant » permet d’une part de s’accorder aux us de notre époque, et en conséquence, d’autre part, d’exagérer l’effet dramatique produit.

 

Ces ré-arrangements définissent les personnages différemment qu’ils ne l’étaient dans le livre. Albertine/Alice reste le personnage « éveillé », femme fidèle et aimante dans les deux cas, malgré ses fantasmes et quel que soit son état ; c’est même celle qui est d’autant plus attachée à son mari grâce à ses fantasmes, comme si de vivre quelque chose de moins conventionnel par procuration la liait d’autant plus avec sa vie réglée (sans que ne soit nécessairement invoqué une question de mari, d’argent ou de sécurité). Par contre, Fridolin/Bill a connu une transformation : effectivement, comme le remarque Charles Bane, tandis que sa femme regarde le prix d’une peluche pour Héléna à la toute fin du film, Bill n’a pas connu de problème d’argent durant tout le reste de l’histoire. Un contraste se fait jour, comme s’il passait d’un monde (réel) à un autre (fantasmé). Aussi, les réactions des personnages ne sont pas tout à fait les mêmes. Bien sur, ce changement se fait à partir du changement de thème général du film. Dans la scène qui nous intéresse, Bill semble sur de lui, et sur, aussi, de l’influence néfaste de la drogue sur sa compagne ; mais elle reste lucide, ou du moins cohérente. Ceci marque un changement avec ce qui se fait dans la nouvelle, où, en plus de parler de ce qui s’est passé l’été dernier, il est bien précisé que ceci commence comme un jeu. Ici, malgré la dope, le coté ‘sérieux’ qui ressort de ce que le film propose montre à nouveau une Alice sure d’elle, qu’elle boive ou fume, tandis que Bill, lui, se laisse beaucoup plus facilement enivrer. C’était un peu le cas de Fridolin, mais pas tant.

 

Nous venons de voir que la glorification de l’ouvrage original, malgré un autre thème traité (celui du fantasme) amène une révision et limitation néo-classique qui appelle à des ajustements, à la fois dans les personnages, ce qui est dit et sous entendu, dans cette scène directement adaptée de Schnitzler.

 

 

 

2.   La révélation de Ziegler, ou l’arrangement des personnages

 

A présent, il faut se pencher sur une scène inexistante du roman, inventée par Stanley Kubrick et Frédéric Raphaël, afin de comprendre ce que cette révision du texte de Schnitzler puisse cependant être sous-tendue par ce dernier.

 

Tout d’abord, observons le point de vue du scénario. Kubrick et Raphaël ont inventé le personnage de Ziegler, riche personne chez qui la première soirée s’était déroulée dans la première séquence, et qui avait appelé Bill à cette occasion dans la salle de bain à cause d’une fille qui venait de prendre de la dope. Ce personnage disparait pendant toute la suite du récit, avant de reparaitre pour donner la conclusion « la vie continue, comme toujours[4] ». C’est une personne âgée, qui par là même prend le rôle de mentor dans cette scène finale.

 

Cette scène peut être séparée en trois partie : dans la première, Ziegler avoue à Bill qu’il était présent à l’orgie de la veille, et il précise où est passé Nick, et conclue qu’il est passé pour le dernier des cons [sic] vis-à-vis des autres personnes de la fête (5’). Dans la seconde, il lui précise qu’il n’a été que le spectateur d’une mascarade (5’). Enfin, il explique à Bill que la mort de la prostituée n’a rien à voir avec ce qui s’est passé lors de l’orgie (3’).

 

Schnitzler a fini pour l’intrigue sur la conscience de Fridolin alors que ce dernier est à la morgue avec le docteur Adler, avant que la conclusion du film n’ait lieu dans la chambre d’Albertine. Il a choisi de faire se confronter Fridolin avec la mort plus longtemps, et le docteur Adler fait regarder son travail de coloration de la peau sur un autre cadavre. On ignore donc ce qu’il est advenu du pianiste, et surtout, on ignore ici, avec Fridolin, si la morte est bien celle qui s’est sacrifiée à la partie. Et la fin de l’intrigue apparait de façon beaucoup plus sombre, le docteur Adler travaillant la nuit à réarranger des cadavres pour ne pas être dérangé… dans cette scène, Fridolin incarne la conscience, qu’Adler veut à  tout prix éviter.

 

Alors que le film est sur le point d’aboutir, cette scène explique au spectateur ce qui vient de se passer pendant près de deux heures un quart. Elle suit la logique de Schnitzler, quant au rapport entre le docteur Adler et Ziegler. De même, Adler donne une nouvelle couleur à un corps mort, comme, ici de façon symbolique, Ziegler donne de la couleur à un mécanisme qui est resté jusqu’ici obscur. On comprend alors qu’un autre docteur ne pouvait être à la fois celui qui organise le bal de la redoute (dans le livre), fait partie de la soirée privée, et soit ce personnage-ci : il faut quelqu’un qui provienne d’une classe supérieure à Fridolin/Bill et Adler, donc supérieur au statut social des médecins, d’où la création de ce personnage. De cette façon, bien qu’ils ajoutent cette scène au récit original, ils continuent de suivre la logique de Schnitzler, et restent dans la glorification, tout en faisant en même temps une révision du texte.

 

A présent, si nous regardons la façon dont a été tournée cette scène, nous constatons que le moyen choisi par Kubrick est conservé depuis la scène étudié de l’anecdote : la caméra est mobile sur Ziegler, comme elle l’était sur Alice, mais reste toujours plutôt fixe sur Bill. Mais, tandis que les mouvements, dans la chambre, avaient une petite amplitude, ils ont ici toute une marge de manœuvre :

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Figs. 3.1-3.4 : le premier plan dans la salle de Billard.

On note la liberté de déplacement accordée à la caméra.

 

 

 

 

 

Après ce type de plan, qui ouvre à chaque fois une partie de la scène, suivent généralement un rapport de champs-contrechamps. Mais si la caméra est le plus souvent totalement fixe, lorsqu’elle est sur Bill (quitte, dans la seconde partie de cette scène, à l’isoler du reste du décor, en le filmant en gros plan avec un arrière plan flou), elle continue de ‘‘ vivre’’ plus dans les contrechamps sur Ziegler, sans pour autant nous détourner du sujet principal. On retrouve la grammaire de l’autre scène étudiée, entre Bill et Alice.

 

 

 

Conclusion

 

Après avoir étudié quelques questions que posait l’adaptation d’un texte en film, nous nous sommes penchés sur le travail qu’a effectué Kubrick au sein de chacune de ses adaptations : plusieurs différences apparaissent automatiquement entre l’œuvre initiale et le film, notamment, comme nous l’avons vu, dans le rapport de complexité entre l’intrigue originale et celle du film, celui de la morale et de la violence, et enfin en ce qui concerne la scène d’ouverture. Ces ‘tics’ relevés dans l’adaptation de Traumnovelle, nous avons pu nous plonger plus précisément sur le scénario d’Eyes Wide Shut, afin de déterminer s’il y avait un système, un processus qui permette de passer du livre au film. En étudiant deux scènes, il est apparu que l’adaptation est toujours tournée vers une glorification de l’œuvre initiale, bien qu’il y ait besoin d’ajuster l’œuvre, afin de l’adapter de nos jours. Le changement d’us et de coutumes induit demande révision du texte. Mais à chaque fois, cette révision ne va pas contre la glorification. Les scènes qui ont été créées partent elles aussi du matériel proposé par Arthur Schnitzler dans sa nouvelle. Ainsi, du point de vue du scénario, jamais Kubrick ni Raphaël n’ont trahis Schnitzler. La grammaire que Kubrick a ensuite établie pour son film reste la même du début à la fin, aussi y a-t-il une grande cohérence. Il peut certes créer cette grammaire seul, mais on remarque que la force de cette grammaire est de mettre en place des doutes et des rapports de pouvoir qui mettent en valeur le roman, ainsi que la thématique que Kubrick a choisi de couvrir à l’aide de son film.

 


 

 

Bibliographie :

 

 

 

 

 

BANE, Charles, Viewing novels, reading films: Stanley Kubrick and the art of adaptation as interpretation, University of Central Arkansas, Philadelphia, 2006, 216p.

 

BAZIN, André, « Pour un cinéma impur, défense de l’adaptation », In. Qu’est-ce que le cinéma ?, coll. 7° art, éditions du Cerf, Condé-sur-Noireau, 2010, 375p.

 

JENKINS, Greg, Stanley Kubrick and the art of adaptation: three novels, three films, McFarland & C°, Inc., Jefferson, North Carolina, 1997, 173p.

 

LEITCH, Thomas, Film adaptation and its discontents: from Gone with the wind to the Passion of Christ, The Johns Hopkins University Press, Baltimore, Maryland, 2007, 359p.

 

 

 

 

 

KUBRICK, Stanley, Eyes Wide Shut, Warner Bros, 1999.

 

RAPHAËL, Frederic, KUBRICK, S., Eyes Wide Shut, a screenplay by Stanley Kubrick and Frederic Raphaël, []

 

SCHNITZLER, Arthur, La Nouvelle rêvée (Traumnovelle), coll.  « Biblio », Le livre de poche, La Flèche, 1991, 192p.

 

 

 

 

 

 

[1] Le texte est paru en anglais sous le titre Rhapsody, A Dream Novel, et en français sous celui de La Nouvelle rêvée.

 

 

[2] Thomas Leitch ajoute aussi les notions de ‘‘déconstructivisme’’ (‘‘métacommentaire’’, où l’on voit le scénariste au travail), d’‘‘analogie’’, de ‘‘parodie ou pastiche’’, d’‘‘emprunt ou allusion’’ et enfin des ‘‘adaptations au second, troisième degré’’ sur lesquelles nous ne nous ne pourrons nous pencher ici car ils ne sont pas utilisé dans ce film.

 

 

[3] BANE, Charles, Viewing novels, reading films: Stanley Kubrick and the art of adaptation as interpretation, University of Central Arkansas, Philadelphia, 2006, 216p.

 

 

 

[4] « But life goes on. It always does…» KUBRICK, Stanley, Eyes Wide Shut, [2:18:15]

 

 

 

 

 

 

 

 


 

J'ai déjà fait une étude comparative entre Eyes Wide Shut et le Decalogue III de Kieslowski à l'adresse suivante : http://tomthomaskrebs.canalblog.com/archives/2009/12/23/16344672.html

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

16 novembre 2010

High Plains Drifter - L'homme des hautes plaines

Je vous signale le nouvel ébergeur de ce blog : http://tomthomaskrebs.blogspot.com

High Plains Drifter – L’homme des hautes plaines

 

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Réalisé par Clint Eastwood

Ecrit par Ernest Tidyman et Dean Riesner (non crédité)

 

 

 

L’homme des hautes plaines est le second film de fiction dirigé par Clint Eastwood, en 1973. Ce dernier fait encore ses premières armes : le film se rapproche de la profondeur et du minimalisme qu’auront par la suite Impitoyable, Sur la route de Madison ou plus récemment Grand Torrino, sans arriver cependant au même niveau émotif. C’est vraiment le film d’un grand cinéaste en devenir.

 

 

 

Ce western raconte l’histoire d’un cowboy qui arrive dans un petit village et qui est engagé par le shérif pour qu’il protège les habitants de trois tueurs qui ont pour ambition de mettre la ville à sac. Ce cowboy, dont l’identité nous est inconnue tout le long du film, accepte, à condition qu’il puisse faire tout ce qu’il souhaite.

Les scénaristes doivent nous faire comprendre que ce cowboy est le plus fort, un peu comme un super-héros. Il doit donc dominer sur le masculin et le féminin. Observons maintenant comment est composé le début du film : le cowboy arrive au village. Les habitants masculins le provoquent et il répond en les tuants. Les habitantes féminines le provoquent et il répond en les violant.

Ce cowboy tient des relations ambiguës avec cette ville, comme nous le découvrirons par la suite, et apparait ici comme quelqu’un de violent, qui possède une conception du bien et du mal bien à lui : à chaque fois, sa réponse apparait disproportionnée par rapport à la provocation. Cependant, le spectateur ne le prend pas pour le grand méchant de l’histoire : il s’identifie même tout de suite à lui. Afin de comprendre comment les scénaristes ont fait pour que ce personnage ne soit pas antipathique, il faut comprendre le travail d’orfèvre réalisé par les scénaristes, lors de cette séquence.

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Le cowboy arrive au village.

 

Cette proposition peut être à nouveau séparée en deux : le cowboy arrive à vue du village ; il y pénètre.

Pendant qu’il fait le trajet pour arriver à vue du village se déroule le générique en surimpression. L’image propose pour tous personnage le cavalier sur son cheval. Le montage nous oblige à suivre son avancée, et insiste sur les sabots du cheval. Nous n’avons alors aucune idée des ambitions du cavalier, mais du fait que son cheval avance de façon hasardeuse sur le sol meuble, le public s’inquiète un peu pour celui qui le chevauche. Nous avons l’intuition qu’il s’agit de Clint Eastwood, étant donné que son nom, sur le générique, c’est inscrit juste après l’apparition du cavalier. Mais nous ne voyons pas son visage.

Le village apparaît en contre bas, avec le cowboy en amorce. Celui-ci continue sa descente, et passe ensuite par un cimetière avant d’entrer dans l’espace juridique de Lago. Le cimetière donne un destin au personnage. Nous reviendront sur ce lieu avec un autre axe problématique, lorsque nous allons parler du côté spectral de ce personnage, aussi n’anticipons pas. Le coté juridique est précisé par la pancarte, et l’espace juridique est construit : une route principale, bordée de maisons de bois. Cette route se déroule jusqu’à une église et se perd ensuite. Cette ville est une impasse, nous y reviendrons. Pour lors, reprenons notre cowboy, dès qu’il entre à Lago. Comme dans un western classique (et d’autres films aussi, comme Vanishing Point qui reprend le même thème d’homme solitaire à priori rejeté car non fixé), il est scruté comme un élément indésirable. A ce moment, les personnages nous sont tous présentés. Certains sortent d’un saloon, d’autres occupent les taches de maitre d’hôtel… tous sont au même niveau que lui. Seule une femme se situe à l’étage supérieur. Nous ignorons alors que c’est la femme « respectable » (là encore, nous y reviendront) qui est vue en contre plongée. Tous les hommes qui le scrutent suent – Les femmes, non, et l’étranger que nous suivons depuis le début non plus. Suer est-il synonyme, comme dans le Jules César de Mankiewicz tel qu’analysé par Barthes dans ces Mythologies, de débat profond sur la moralité de leurs actes ? Quand ceux qui ne sueraient pas seraient, comme le personnage de Jules César dans ce même film, serait ceux qui n’auraient pas de problèmes avec leur conscience ?

Notre cowboy solitaire gare son cheval au bout de la rue, près de l’église, puis revient au saloon.

 

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Les habitants masculins le provoquent et il répond en les tuant.

 

Nous entrons ici dans la seconde scène du film. A nouveau, cette proposition peut être divisée en deux : il va au saloon où on le provoque. Ensuite, il va se faire raser, et il répond à ce moment là à la provocation initiale.

Dans le saloon, la tension est visible, de par la pénombre de la pièce, allié à la couleur sombre des boiseries, tout ceci entrant en opposition avec le soleil violent de l’extérieur. Le cowboy demande une boisson (et une bouteille). On l’agresse pour la première fois verbalement, le traitant de « clochard » en version française. Il n’y a pas de réponse à apporter, aussi le cowboy n’en apporte-t-il pas. Il sort juste avec sa bouteille. Ensuite, il va se faire raser.

L’échoppe où l’on rase est très claire, à l’opposée du saloon. Elle est ornée de grandes fenêtres et laisse par suite entrer la lumière. Le barbier tremble lorsqu’il voit le cowboy entrer, mais il reste professionnel et lui propose ses services. Lorsqu’il voit les cowboys qui sortent du saloon en face et qui se dirigent par ici, il fait tourner le siège du cowboy pour que ce dernier ne les voie pas. Ainsi, les bad guys peuvent entrer sans problèmes dans la boutique. Et là, ils se provoquent à nouveau. Les hommes fraichement entrés vont pour tuer, mais celui qui est visé tire de sous sa serviette blanche, avec une précision diabolique. Tel était pris qui croyait prendre. Il s’essuie et quitte le magasin.

Plusieurs choses nous auraient poussés à prendre le cowboy pour un personnage antipathique, si elles n’avaient pas été amenées dans le bon ordre. Car en fait, il montre ici sa supériorité. Si l’on exclu l’ambiance lourde qui pèse sur le village pendant l’arrivé de Clint Eastwood (appelons-le comme ça, ce qui lui donne un nom), et qui se perpétue dans la suite de l’arrivée jusqu’à la mort des méchants, il y a des éléments de mise en scènes qui montrent qu’il est rejeté. La façon dont le barman décrédibilise sa bière en la servant, par exemple. La mise en scène : Clint face au reste de la ville, l’opposition se faisant oppressante car les hommes (il n’y a que des hommes dans le saloon) sont tout au fond, dans le bar, quand Clint vu, avec des taches de lumières derrière lui. Il se contient, cela se sent, mais il ne bouge pas. Ce n’est que lorsque sa vie sera mise en danger qu’il agira avec brio, soit dans le magasin du barbier, qu’il agira avec brio. Lorsqu’il tue, malgré que les plans s’enchainent à toute allure, une certaine insistance est faite sur le fait que les balles sont tirées avec précision, entre les deux yeux. Finalement, Clint ne tue pas de sang froid, mais dans un état de légitime défense. En plus, il tire bien. C’est à la fois le plus fort et le héros. Il règne sur les mâles.

 

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Les habitantes féminines le provoquent et il répond en les violant.

 

Cet épisode passé, Clint ressort de chez le barbier, se fait féliciter par un personnage-nain qui a son intérêt dans la suite de l’histoire, puis il se déplace avec un objectif qui nous est inconnu (et qui d’ailleurs n’a pas d’importance). Le cowboy a maté les hommes, que va-t-il en être des femmes ?

Une fille, Callie Travers, s’approche, et se heurte volontairement à lui. Elle commence à l’insulter. Il la prend par le bras, l’amène dans une grange et commence à la violer. Alors qu’elle ne voulait pas, dès qu’il semble être en elle, tout d’un coup son caractère change, et elle le retient.

Cette nouvelle séquence apparait comme une déclinaison de la précédente : les mêmes choses se passent, mais ici, le cowboy répond avec un acte sexuel, que, visiblement, il sait bien faire. Comme la femme apprécie, Clint gagne à nouveau sur ce tableau, et surtout, comme elle apprécie, il ne passe pas pour un méchant. En contre partie, la ville est vue comme un ennemi potentiel.

 

 

 

 

 

 

Les femmes dans ce western

 

A présent que ce début de film a été observé, arrêtons nous un instant sur les femmes qui composent ce western. Alors que l’on voit une pluralité d’hommes, cette ville semble presque dénuée de femmes. Effectivement, il n’y en a que deux. Pourquoi sont-elles si peu nombreuses ? Quels liens entretiennent-elles ?

Les deux femmes sont Callie Travers, dont nous venons de voir la présentation, et Sarah Belding, qui apparait deux séquences après la dernière que nous avons analysée, lorsque le cowboy va chercher un lit. Sarah Belding est la femme du gérant de l’hôtel. Sarah se présente d’emblée à l’opposée de Callie, car elle n’a alors pas spécialement envie de coucher avec ce cowboy étranger, au début du film. Lorsqu’il lui demande pourquoi Callie fait-elle tant de raffut à cause du ‘viol’ qu’elle a apprécié, elle lui répond : « parce que vous n’avez pas réitéré. » Ceci signifie qu’elle analyse, comprend et connait les autres personnes de la ville, en plus de gérer un hôtel, lors de l’absence de son mari. Elle est donc responsable. L’opposition qui se fait entre elles tient sur le rapport au sexe : une fille ‘facile’, qui le fait passer avant tout, et une femme respectable, qui fait passer son travail avant son plaisir.

Dans le film, Clint Eastwood bénéficiera des grâces de ces deux femmes, mais pas au même moment, et pas dans les mêmes conditions. Comme nous l’avons vu, il prend Callie pour la première fois dans une grange, où il la viole avant qu’elle accepte de le conserver en elle. La seconde fois qu’elle lui offrira ses grâces, ce sera après un dîner à l’hôtel, dans la chambre du cowboy. Elle en sortira avant que ladite chambre ne soit littéralement détruite par des hommes. Sarah Belding était la serveuse, lors du repas qui a lieu entre le cowboy et Callie. Elle parait un peu irritée de jouer ce rôle. Cependant, elle ne peut pas ne pas noter que Clint Eastwood traite Callie comme une ‘lady’. Aussi, à partir de ce moment, elle peut se laisser à lui, puisqu’il a des manières. C’est pourquoi juste après que sa chambre ait été brûlée, elle propose sa chambre à Clint (sous un biais dramatique qui révèle que son mari est un trouillard). A l’intérieur de la chambre a lieu une petite rixe, initiée par Sarah, afin de comprendre si oui ou non, le cowboy veut la violer. (la réponse est non), et elle finit par coucher avec lui.

Nous sommes proches de la fin du film, où Callie se fera houspiller par les brigands qui reviennent, quand Sarah décidera de quitter cette ville. Ces destins opposés (Callie restera définitivement en ville) montrent clairement l’évolution du concept du personnage féminin qui englobe ses deux entités : soyez responsable, et ne cédez que par amour sincère – Hollywood est conservateur. Cette étude, sur les caractères féminins, n’est qu’une petite partie du matériel que l’on peut analyser dans ce film.

L’étude de ses deux personnages montre deux choses. Tout d’abord, comme le précisait Thomas Shatz dans les années 60, le western est un genre « défini » : un lieu, un héros solitaire qui bouleverse l’ordre des choses, et qui le quitte bouleversé. Le héros est un personnage n’évoluant pas dans le cas du film qui nous intéresse, par contre, à peu près chaque personnage (et chaque entité représentée) évolue. Clint Eastwood quitte le village, et rien ne peut plus être comme avant. Ensuite, par rapport au genre du western, qui a beau être destiné à un public avant tout masculin, du moins à l’époque, et où les femmes étaient de mœurs plutôt légères, cet exemple montre bien que bien qu’elles se laissent toutes deux dans ce film passer sur le corps volontairement par plus d’un homme, jusqu’à montrer à son mari qu’elles le trompent, toutes ont une fonction par rapport à ce que dit l’ensemble du film.

 

Pour finir, voici le trailer :


L'homme des hautes plaines

J'ai étudié précédemment Gran Torrino à l'adresse suivante : http://tomthomaskrebs.canalblog.com/archives/2009/08/01/14612141.html

5 octobre 2010

Easy Rider

Je vous signale le nouvel ébergeur de ce blog : http://tomthomaskrebs.blogspot.com

 

Easy Rider

 

 

 

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Un film de Dennis Hopper,

écrit par Peter Fonda, Dennis Hopper et Terry Southern

Easy Rider conte l’histoire de deux hommes qui parcourent à motos les Etats Unis, partant de l’état de Californie pour celui de la Nouvelle Orléans, afin de participer au carnaval qui y a lieu. Ils ont un peu plus d’une semaine pour faire leur trajet.

Présentation des protagonistes Wyatt et Billy

Les deux protagonistes sont Wyatt (interprété par Peter Fonda) et Billy (Denis Hopper). Ils sont tous deux très différents, pour ne pas dire opposé. En fait, ils représentent chacun un des deux états d’esprit qui divisent les motards. Les costumes et les motos ne sont pas les mêmes, dans une optique certes de différencier les deux personnages, mais aussi de les caractériser.

La différence entre les motos (toutes deux des Harley-Davidson Panheads Choppers 1951) existent car Dennis Hopper ne la conduit pas aussi bien que Peter Fonda, qui, lui, est un motard. Ils se sont donc permis des modifications plus poussées, chopperisations avec le customisateur Tex Hall. « La Captain America est un chopper comme on en n'avait encore jamais vu, même en Californie. Personne à l'époque n'avait construit une Harley chopperisée, équipée d'une fourche rallongée de 12 pouces (plus de 30 cm) et d'un angle de chasse de 42°. »[1] Cependant, cette différence, due à la base à un problème de conduite, est exploité : sur la moto de Wyatt « Captain America », est peinte un drapeau américain, drapeau qui est repris au dos du blouson noir de Peter Fonda. Le conducteur est dans une position qui lui force à se montrer relaxé. Physiquement, il a du charisme, c’est un beau gosse qui n’a pas les cheveux aussi longs que son ami Billy. Il représente l’archétype du héros américain. Son nom vient de Wyatt Earp, célèbre marshal de Tombstone ayant prit part à la fusillade de O.K. Corral, qui a donné lieu à plusieurs Westerns. Par suite, ce sera son histoire plus que celle de Billy que l’on va suivre. Wyatt est quelqu’un de posé qui cherche à se ressourcer, à recommencer quelque chose lorsqu’il aura retrouvé une identité ; nous reviendront plus en profondeur sur ce point dans la seconde partie de l’exposé. C’est celui qui lorsqu’il ne conduit pas se met à réfléchir, tandis qu’il est calme en conduisant. Il trouve donc son plaisir dans la conduite : c’est le chemin qu’il fait (effectif comme intérieur) qui lui donne une raison de le faire, et non les résultats qu’il pourraient en tirer. Les différentes réponses à son interrogation profonde de recherche d’identité ne lui plaisent pas tant que les panoramiques et la magie de l’instant sur la route.

A l’inverse se trouve Billy, la seconde moto, habillé comme un « natif ». Billy, ainsi nommé en référence à Billy the Kid, est le jouisseur du groupe, celui qui essaie à chaque arrêt de rencontrer une fille, et plus si affinités. Sa moto est plus classique, car il a du mal à en conduire une ; ceci le positionne de façon plus traditionnelle, courbé vers l’avant. C’est aussi un style et un caractère : il veut être plus rapidement que Wyatt au bout du chemin. Il ne semble guidé que par ses pulsions, essayant à tous prix de séduire l’amie (disons) du hippie anonyme, avant que ce soit cette dernière qui se propose à lui, ou choisissant d’aller au bordel de luxe dont leur a parlé George. Mais il a les pieds sur terre, et n’arrête pas, comme une bonne conscience de Wyatt, de demander qui ils sont aux deux personnes qui montent avec lui. Le hippie ne veut plus de nom, et si Wyatt ne lui en demande pas plus, Billy cherche sans succès une réponse : il n’obtiendra rien de plus précis que « je viens d’une ville. » Il protège aussi Wyatt, ou du moins son sommeil, au travers de ce qui pourrait dans un premier lieu ressembler à un mouvement d’humeur, lorsqu’il apostrophe George qu’il ne connait pas encore dans la prison.

 

Cette opposition entre les deux protagonistes se retrouvait déjà dans les romans de la « beat génération », notamment dans Sur la route (On the road, 1959) de Jack Kerouack. J’y reviendrais en seconde partie.

 

 

 

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Je souhaite à présent, avant d’aborder le film dans son genre, faire un bref historique de « la fabrication » de cette fiction. Tout d’abord, le tournage a commencé en 1968, alors que l’âge d’or d’Hollywood était révolu. Les studios, notamment la Columbia, distributrice de ce film-ci, cherchaient à faire revenir les spectateurs dans les salles. Pour ce faire, ils ont choisi de laisser leurs chances à de jeunes cinéastes qui sortaient juste de leur formation. Ainsi, Hopper c’est-il retrouvé à la tête de ce film. La légende raconte qu’il était très mégalomane, et que les studios qui l’ont employé l’ont envoyé tourner des scènes durant le carnaval à la Nouvelle Orléans, afin de le tester. Au retour, les studios auraient été dépités… cependant, cette séquence s’insère très bien dans le film. Ensuite, pour le tournage du reste du film, le scénario succinct laissait parait-il une grande part à l’improvisation. Cependant, à mon sens, le film est très bien structuré (ce qui fait sa force, encore de nos jours). La présence au scénario de Terry Southern (Docteur Folamour (1964), Barbarella (1968)), scénariste chevronné donc, ne doit pas y être pour rien. Après cela, Jack Nicholson est convoqué pour jouer dans Easy Rider. Cet acteur n’est pas étranger aux films de motards (« Biker films », voir en seconde partie une définition de ce genre), puisqu’il a déjà joué dans Hells Angels On Wheels et Psych-Out (1967, 1968, tous deux de Richard Rush). La musique rock’n’roll inondait déjà ce type de film. Les studios n’ont donc pas pu être surpris de voir un film de ce type… Par contre, ils ont pu être horrifiés par la version de quatre heures et demie montée par Dennis Hopper. Afin de réduire le temps du film, le studio envoya Dennis Hopper en vacance au Mexique, et remonta le film pour qu’il ne fasse plus qu’une heure et demi, qui est la version que nous voyons désormais. Pour ancrer son film dans son époque, et parler de ce fait au spectateur, Dennis Hopper avait eu l’idée d’utiliser des musiques qui existaient déjà, plutôt que de demander à en composer de nouvelles : Easy Rider est le premier film à utiliser ce procédé, repris par la suite. Cependant, avant d’être diffusé, le film a été vu par les pontes du studio et a été considéré comme un film « mal fait », « mal tourné. » Pourquoi ? Parce que le film n’est pas exempt, par exemple, de faux raccords. Un autre exemple : à Hollywood, la caméra se doit d’être invisible. Mais lorsque dans les contres jours, il y a la diffraction de la lumière sur les lentilles de la caméra, ceci la montre (voir l’image ci-dessous). Mais tout ceci n’effrayera pas le public qui est venu en masse voir le film. Cette fiction qui n’avait couté que 345 000 $ rapportera 1,5M$, soit plus de trois fois plus ! Malgré les réticences du studio, le pari de ramener les spectateurs en salle était gagné.

 

 

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Easy Rider fonde le genre du « road movie ».

 

Des films de routes existaient déjà auparavant, mais on ne les a classifiés dans ce nouveau genre à la lumière de ce film. Sans Easy Rider, des films tels Les voyages de Sullivan (Sullivan’s Travels, Preston Sturges, 1942) ou Voyage à deux (Two for the Road, Stanley Donen, 1966) n’auraient probablement jamais été regroupés. Mais Easy Rider n’est pas non plus le seul film à créer le genre de toutes pièces : chaque genre est créé non pas par un film, mais une constellation de films sur un temps relativement court. Bonnie and Clyde (Arthur Penn) est sortit en 1967, et en 1969, la même année qu’Easy Rider, sort aussi Les gens de la pluie (The rain’s People, F. F. Coppola).

Auparavant, étaient sorti plusieurs « bikers films », film de motards peu diffusés de ce coté ci de l’atlantique. Nous connaissons surtout L’équipée Sauvage (The Wild One, Laslo Benedek, 1953), avec Marlon Brando. Mais ce film est beaucoup moins isolé que l’on pourrait le croire. Souvent, ces films étaient produits par de petits studios avec peu de budgets : pire qu’une série B, c’était plus de l’ordre de la série Z.

Le synopsis d’Easy Rider diffère sensiblement de celui d’un film de motard traditionnel (par exemple, celui de Hells Angels on Wheels (Richard Rush, 1967) : Un pompiste trouve la vie plus excitante après avoir rejoint le groupes d’outlaws des Hells Angels. On comprend que dans Easy rider, les scénaristes ont ajoutés la magie de l’instant, et la construction d’un « moi », donc la recherche d’une liberté, celle de Wyatt. Ce plus profondément que celui du héros du film sus cité. Ainsi, en plus du voyage physique c’est en fait le voyage intérieur que l’on suit.

A côté de ce genre, ce film reprend plusieurs courant de la « beat generation ». Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, beaucoup de personnes ont souhaité revenir à leurs origines. On en retrouve des traces dans la littérature : le plus célèbre roman de Jack Kerouac, Sur la route (On the Road, 1959) a vu son premier jet s’écrire, comme le dit la légende, en trois semaines en 1951, avant une longue réécriture de six à huit ans. Ce texte, paru sur les bancs des librairies Américaines au même moment que le début de la guerre du Vietnam, a contribué à créer cette « beat generation ». L’ouvrage présente un couple de personnes, Dean Moriarty et Sal Paradise, deux hommes qui errent dans les Etats Unis, paumés dans cette Amérique d’après guerre. Ils font eux aussi (ou, devrais-je dire, en premier) une réelle recherche intérieure, Sal recherchant un père dans le personnage de Dean afin de se donner une nouvelle origine. Easy Rider est contemporaine à la guerre du Vietnam, mais c’est toujours cette « grande et sainte Amérique encore préservée des hommes » décrite par Jack Kerouac que cherchent à trouver Wyatt et Billy, sur fond de Rock’n’roll.

Du fait de ce voyage intérieur, le film est très structuré et devient un film à thèse. Les lieux dans lesquels ils s’arrêtent sont éloquents des différentes étapes de la construction d’un moi : dans l’ordre, une fois qu’ils sont à moto, ils s’arrêtent chez un cowboy, puis des hippies, passent par la case prison, puis au restaurant dans un petit village, dorment à la belle étoile, vont au bordel, et enfin au carnaval de la Nouvelle Orléans, avant de finir dans un duel sur une route.

Déjà une logique apparait : le cowboy vit de la terre, ainsi que les hippies, mais ces derniers ont peur de ne pouvoir survivre à une trop forte sécheresse, alors que le cowboy vivait parfaitement bien, avec une grande progéniture. Le cowboy, c’est la liberté d’une autre époque, et malgré ce qu’il lui dit, Wyatt ne peut rester là. Il y a ensuite chez les Hippies quelque chose qui empêche Billy de s’y sentir bien, et malgré les apparences qu’ils se donnent, ils sont plus « jouissance » que pensant franchement à leur avenir, ce qui rebute aussi Wyatt. Il est normal qu’un tel premier itinéraire ne les mène nulle part ailleurs qu’en prison, où ils rencontrent Georges Hanson (Jack Nicholson), un avocat un peu trouble. Celui-ci leur propose de les rejoindre pour aller avec eux jusqu’à la Nouvelle Orléans, en passant par un bordel de luxe. George doit prendre un casque et il choisi aussi de prendre aussi un pull-over d’étudiant (ou de lycéen) : il propose un moyen de retrouver la liberté, par la jeunesse. Mais le trio fait peur, et finalement, Georges finira tué lorsqu’ils passeront la nuit à la belle étoile, les blessures que Wyatt et Billy accusent étant relativement superficielles. De nouveau en duo, Billy décide d’aller avec Wyatt là où voulait les emmener Georges : le Bordel de luxe. Ce sera au tour de Wyatt de ne pas s’y sentir bien. Après le problème de Billy dans la communauté hippie où l'amour était libre, mais où il ne s’y sentait pas bien, c’est au tour de Wyatt dans ce lieu où l'amour est la règle. En l’occurrence, si Billy jouit sans entraves, son collègue n’accepte pas le principe du bordel, où l’on paie pour le plaisir donc où la notion de liberté de choix (de son partenaire) est nulle. Finalement, les protagonistes sortent au carnaval avec les deux filles. Et c’est là que l’on verra Wyatt s’épanouir de façon définitive.  Mais cette liberté, durement gagnée, ne leur servira à rien, car repartant en moto, ils croisent un camion qui les tue de façon gratuite.

Vous l’aurez compris, au-delà de la reconstruction d’un moi et de la recherche d’une liberté, toute une réflexion est faite l’intérêt de cette liberté. Le dialogue avec Georges autours de la marijuana qu’ils s’échangent en est révélateur : « on se dit libre, mais dès qu’on croise quelqu’un, [comme eux] qui est vraiment libre, ça fait peur. » Si l’on replace la phrase dans son contexte, on note plus précisément qu’ils font peur aux personnages de sexe masculin, assez âgés. Car dans la scène précédente, un groupe d’étudiantes aurait bien aimé faire un tour sur l’une des deux motos. En l’occurrence, ils ne faisaient pas peur, mais ils attiraient. Au final, faisant peur à ceux qui ont une vie réglée (donc dépositaire de l’ordre – l’un d’eux est shérif) et intrigant des étudiantes tout juste majeures, ils ne font pas peur mais ils fascinent (au sens propre du mot : mélange d’attirance et d’effroi). Et c’est donc par mesure de sécurité qu’on essaie de les éliminer.

Enfin, parmi les symboles qui permettent à Easy Rider de fonder le road movie, il a aussi fallu aux scénaristes d’éliminer une mythologie pour en créer une nouvelle. Le choix fait dans ce film est de se ressourcer pour retrouver un « moi ». Aussi ont-ils choisi de reprendre de façon parodique les symboles d’un autre genre où les personnages se recherchent de façon binaire : le western. Il me faut ici ouvrir une petite parenthèse sur ce genre défini de façon légèrement différente des deux cotés de l’atlantique, afin de vous faire comprendre plus précisément les raisons de ce choix. De notre coté de l’Atlantique, le Western n’est qu’un genre pris parmi d’autres ; mais du coté étasunien, le western, c’est des légendes qui racontent la création et l’union des états de leur continent. Reprendre de façon parodique le western, c’est reprendre les codes « originels » des Etats Unis pour en présenter d’autres à la place. A la place du massacre d’O.K. Corral, en reprenant la mouvance de la contre-culture, le film propose le trio : sexe, drogue & rock’n’roll.

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Sex, drogue & rock’n’roll. Is that all, folks ?

Vous voulez écrire un road movie, dans la mouvance d’Easy Rider, Les gens de la pluie, Bonnie and Clyde… bref, de la grande époque. Quels en sont les thèmes récurrents ?

-          Condition sine qua nonne, il vous faut des grands espaces, avec, au milieu, une route.

-          Ensuite, il faut que les protagonistes remplissent deux conditions : ils doivent utiliser des moyens mécaniques pour se déplacer, et être proche de ses derniers. Aux volant d’une moto, ou d’une voiture, mais pourquoi pas aussi d’un bus (non, Speed n’est pas un road movie mais un huis clos) ou d’un train (à condition, toujours, que le protagoniste le dirige directement). Il y a dans ces road movie une notion, beaucoup moins présente de nos jours, d’une jouissance mécanique, ou d’une jouissance de la mécanique. Comme si la liberté était liée à cette mécanique que l’on contrôle. On retrouvera cette interrogation dans le cinéma américain dans des films plus tardifs, tels Terminator et Terminator II, ou encore Robocop, mais l’interrogation a évolué, et sort du cadre du road movie : revenons à nos routards. Parallèlement à ce lien entre l’homme et la machine, il faut que parallèlement au trajet physique effectif, il y ait un voyage intérieur fort vers une liberté ou une rédemption (bien sur, tout les bon films, quelque soit le genre, présente ce schéma…).

-          Le long de la route, le ou les protagonistes doivent rencontrer une diversité de communautés qui lui (leur) permettent de se ressourcer. Au mieux, il faut le/les mettre face à plusieurs niveau de développement de nos sociétés : l’itinérante, le village, la ville…

-          Enfin, il faut que l’histoire soit tragique. Comme elle l’est dans les road movies déjà cités, elle l’est aussi pour, par exemple, Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991).

Bien sur, les filles, la drogue ou le rock font partie intégrante de cette façon de penser. Mais souvenons nous que cette notion est ancrée dans l’époque des 70s. Déjà dans Thelma et Louise, les thèmes sont abordés de façon différente (outre le fait que ce soit un couple d’héroïnes et non plus d’héros). Ce n’est par exemple plus tout à fait le même rock’n’roll déchainé, et, d’après ce dont je me souviens, les drogues ont disparu.

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Pour finir, voici le trailer original (non sous titré) :


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J’ai déjà traité du road movie Les gens de la pluie à l’adresse : http://tomthomaskrebs.canalblog.com/archives/2010/03/31/index.html

 


 

[1]http://www.planete-biker.com/famous-bike2.php

2 octobre 2010

Des hommes et des dieux

Je vous conseille mon nouvel hébergeur : http://tomthomaskrebs.blogspot.com

 

 

Des hommes et des dieux

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Film français réalisé par Xavier Beauvois, écrit par X. B. et Etienne Comar, produit par Why Not Production, et ayant reçu le grand prix du jury à Cannes 2010. Ce film a été produit par la même société que celle qui a produit un prophète qui a reçu le grand prix à Cannes l’an passé, en 2009.

La projection de Des hommes… était précédé d’un court métrage composé d’un plan séquence en léger travelling arrière (à Poitiers). Cependant, ce film n’a rien à voir avec le long qui le suit : il raconte l’histoire d’un accouchement raté dans un désert.

Des hommes et des dieux conte l’histoire tragique d’une communauté de moines cisterciens dans l’Algérie des années 1990. Il est basé sur un fait réel qui a eu lieu en 1996, en pleine guerre civile Algérienne : la mort violente de sept moines sur les neuf alors présents dans le monastère de Tibhirine (ou Tibéhirine selon la prononciation). Le film ne montre pas la mort de ces moines, et ne cherche pas à comprendre les causes de la guerre civile Algérienne : il se concentre sur la vie et surtout le choix difficile des moines.

 

Dans un climat de bouleversements majeur, doivent-ils chercher à préserver leur vie ou leur piété ?

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Le film se concentre sur le quotidien des moines, et sur l’évolution de leur perception quant à leur foi et l’intérêt de leur travail. Le début du film représente un enjeu de taille, car il a fallu montrer que ces moines étaient parfaitement intégré à la société, et pas du tout en butte vis-à-vis de l'islam.

Xavier Beauvois et Etienne Comar ont choisi de présenter d'abord leur travaux religieux, avant de les plonger dans la vie du village. Le film commence donc par la prière et la lecture. La prière est réalisé de façon totalement anonyme. Les moines nous tournent le dos et chantent ; aucun n'a plus d'importance que les autres. Même le prieur nous tourne le dos. Puis, ils ont encadré la séquence de la lecture par deux personnages : le frère Luc (Michael Lonsdale) et le prieur Christian (Lambert Wilson). Frère Luc s'habille pour sortir au petit mâtin, et le prieur interroge le Coran en le comparant à la règle de Saint Benoit (St Benoit est le fondateur des moines cisterciens), les deux ouvrages trônant à la même enseigne sur le bureau.

Ceci présenté, les auteurs présentent le lieu dans lequel est cette communauté : l'Algérie, et plus précisément, Thibirine ou "Thibérine", selon les sources. On suit des personnages du village, oubliant un peu les prêtres : l'une des réflexions, faites après un travelling qui montre la beauté des paysages est "ne t'endors pas devant", à un homme qui regardait comme nous la beauté. Ceci, avec d'autres petites phrases et présentations, nous montre que les hommes d'ici aiment leur pays et leur village - ils en sont fiers (il y a de quoi). Plusieurs groupes d'hommes et de femmes présentés, nous revenons à frère Luc et à son occupation : c'est le médecin de la comunauté cistercienne, qui soigne gratuitement qui en a besoin, sans aucune distinctions d'aucune sorte. En l'occurence, il soigne une jeune fille, et donne, à la fille comme à la mère, de vieilles paires de chaussure fermées qui remplacent celles, trouées, qu'elles possédaient.

Un plan montre un moine sur un tracteur. Une nouvelle séquence montre frère Luc en train de vendre du miel, réalisé à l'abbaye, tout en se renseignant sur des problèmes que rencontre ici une personne qui n'a pas de photographie d'elle (je ne sais plus à quel propos). A la fin de cette séquence, la comunauté des moines est intégré à la plus grande communauté du village, tant et si bien que les moines se retrouvent chez le maire du village (ou l'Imam), et sont invités à un mariage. Ils répondent positivement à l'interrogation, et participent au rituel musulman. A l'issue de ce mariage, les moines sont donc définitivement intégrés.

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Cette présentation réalisée, les auteurs peuvent mettre en place un danger, en montrant que des extrémistes s'attaquent à un groupe de personnes en train de construire une route, et qu'ils tuent seulement ceux qui, dans ce groupe, ne sont pas berbères. De cause à effet, la vie des moines est soudain mise en danger.

L'interrogation du film se fait alors jours : faut-il sauver sa vie en quittant le monastère vers un lieu plus sur ou faut-il sauver le village en restant dans le monastère et en continuant d'effectuer les tâches diverses (travail de la terre, premiers soins) qui lui permet de survivre ?

C’est ainsi que durant les deux heures de films qui suivent, l’interrogation racinienne peut s’exploiter, se développer entre les différents membres de cette petite communauté : chacun a ses raisons de suivre ou de se mettre en bute face aux obligations de Saint Benoit, exprimés par le prieur. Aucun n’est épargné : tous les moines sont décrits avec chaleur. Le premier jet du scénario reprenait la structure de la série Lost créée par J. J. Abrams, et décrivait par Flash-back la vie antérieure de chacun des moines, version qui n’a pas été retenue pour la film : Xavier Beauvois, à qui le scénariste avait confié son histoire, voulait éliminer le coté épique du récit, pour se concentrer sur la tragédie vécue par ces moines.

 

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Ce fut un succès : depuis deux semaines de diffusion, ce film est à la plus haute place du classement hebdomadaire, le film le plus vu. Il vient d'être détroné par Resident Evil (source France Inter)

 

Pour finir, voici le trailer :


Bande Annonce Des Hommes et des Dieux de Xavier Beauvois

 

 

 

29 septembre 2010

Big Fish 07

Voici la suite de mon mémoire consacré à l'adaptation de Big Fish. Vous trouverez l'introduction à l'adresse suivante : http://tomthomaskrebs.canalblog.com/archives/2010/09/09/index.html

C.    Un film de Tim Burton

1.      L’arrivée à Spectre et l’imaginaire enfantin

                        

Tim Burton a fait sien le scénario, pour faire sienne la première vision de Spectre, comme nous l’avons esquissé dans notre première partie.

Nous avons vu que le scénario propose la découverte d’un Spectre qui est relié électriquement au reste de l’Alabama, et que cette ville est coupée par une route. Dans le film, la route et les câblages électriques ont disparu, laissant place à un gazon vert. Alors qu’il sort de la forêt, Edward arrive dans une ville qui représente l’idéal américain : petite ville, elle est peuplée de femmes toutes belles, plantureuses, aimables, et accueillantes. Les soirées, toute cette communauté se rassemble dans la rue principale, monte des scènes et danse sur une musique country engageante. Le paradis sans ombre. Ce paradis correspond à posteriori à l’imaginaire enfantin. Comme le dit Jenny à Will, « On voit les choses différemment à différentes périodes de sa vie ». Cet imaginaire enfantin n’a évidemment rien à voir avec la banlieue où un autre Edward est amené (Edward aux mains d’argent) représentant alors le monde adulte morne, et étant la reproduction à l’identique d’une seule habitation, dans des couleurs tranchées qui n’ont finalement rien d’engageantes. Ici, l’imaginaire prend le pas, et les maisons sont toutes différentes, toutes personnalisées.

Ce type de choix se retrouve aussi dans les personnages et les monstres que Tim Burton a mis en scène.

2.    Choix principal de l’animatronique et l’essai du monstrueux

Mettant des histoires merveilleuses à l’écran, Tim Burton ne s’empêche pas de mettre des monstres à l’écran – des personnages monstrueux. Du squelette élégant de M. Jack à l’androïde d’Edward aux mains d’argent, de la difformité du pingouin aux humains dépossédés de toute humanité de la planète des singes (quand la norme est le singe). Big Fish n’échappe pas à la règle, présentant un géant, des sœurs siamoises, un loup-garou, et une sorcière à un seul œil.

Or, pour réaliser le film qui nous intéresse, Tim Burton a peu fait appel à la 3D : la principale partie du film se déroule sur les lieux où Tim Burton a tourné, et il a préféré avoir recours à l’animatronique. Il en est ainsi du loup qui saute sur Edward lorsqu’il ouvre la porte de la caravane d’Amos Calloway ou du serpent qui ondule vers la fille de la rivière. Il justifie ce choix par deux réponses.

D’abord par référence. Jeune, Tim Burton a apprécié les marionnettes de Ray Harryhausen, et la série des Godzilla japonais, et il est de son droit de reprendre cet univers pour le replacer dans son film.

Ensuite par le réalisme qu’il veut donner à l’intrigue. Il est vrai que des acteurs isolés dans un fond vert ont un rapport beaucoup plus éloigné au décor qu’un acteur plongé dedans – ce qui est normal. Il en va de même pour le lien entre les acteurs et les animaux qui, s’ils ont une présence effective sur le tournage, sont mieux perçus par les personnages en place dans la scène. Et il y a enfin la magie du cinéma comme dans le tournage de la séquence de la chanson des sœurs siamoises que nous allons étudier.

                                                                                     i.      Étude de la présentation des sœurs siamoises

Le tableau suivant présente les plans du début de la séquence où l’on découvre les sœurs siamoises. Pour des raisons de clarté pour les différencier, nous leur donnerons les noms qu’elles ont dans le scénario : Jing et Ping. L’étude qui suit le tableau sera là pour appuyer la façon dont la ‘‘magie’’ du cinéma prend place. La scène étant divisée entre les actions d’Edward et celles des siamoises, nous avons adopté un code couleur pour séparer clairement les actions.

Plan fixe, demi-ensemble

Musiciens

Pause avant d’introduire la siamoise.

Travelling bas-haut, serré

Sur Jing

Première découverte du personnage

Plan fixe, Contre plongée

Edward atterrit sur une passerelle au-dessus de la scène

Mise en parallèle de son évolution

Plan fixe

Il enlève et tire son para- chute

Intérêt sur le parachute qui resservira par la suite

Travelling nerveux droite gauche

Il met KO une sentinelle

Mode d’action

Raccord en plan large

Jing attend la fin de l’introduction

Lien entre les deux actions de la scène et insouciance des deux cotés.

Raccord dans l’axe en gros plan

Jing commence à chanter, seule

Travelling bas-haut partant de l’arrière de la scène et montant vers la passerelle où se bat Edward

Jing continue de chanter, Edward continue de mettre des sentinelles KO

Une seule femme et non deux siamoises sont filmées à ce moment.

Raccord siamoises, plan de demi -ensemble

Elle continue de chanter de profil

Raccord Edward

Suite de plans sur Edward qui élimine des sentinelles

Mode d’action

Raccord siamoise, plan fixe de demi-ensemble

Jing continue de chanter

Raccord dans l’axe, gros plan

Jing continue de chanter

Raccord Edward

Il descend au niveau de la scène par une corde et élimine une nouvelle sentinelle

Mode d’action

Raccord Siamoises plan large

Jing continue de chanter

Contre champ soldats

Aucune réaction

Qui regarde la siamoise ?

Contre champ siamoises, gros plan, puis travelling tournant

On découvre Ping, der- rière Jing. Le travelling les fait passer au travers des lumières : nous finis- sons derrière elles

La caméra nous fait franchir un mur imaginaire (qui permet en outre de montrer la prouesse du costumier tant est parfaite l’intégration des deux jumelles)

Contre champ siamoise,

De face.

Le mur est franchi

Et la séquence continue…

Dans cette scène, les siamoises apparaissent moins longtemps qu’Edward. La magie du cinéma apparaît car ce n’est pas une siamoise qui est filmée lors du premier travelling bas-haut, mais « une femme naturelle », ce qui oriente notre idée du personnage. Afin de ne pas montrer que se sont deux jumelles, cette scène propose pour ce personnage trois costumes différents : le premier porté par Jing, seule, le second lorsque les deux jumelles sont vues de dos, et le troisième lorsqu’elles sont vues de face. Tim Burton propose donc ici un monstre réalisé de façon artisanale, qui lui permet de filmer directement une réalité ‘logique’ et une réalité ‘merveilleuse’. Cette façon de tourner correspond aux films qu’il aime citer en référence, où le maquillage (dans Frankenstein) ou le costume (Godzilla) joue un rôle important, plus important parfois que le personnage dans le cas des Godzilla. Mais ce mode de tournage correspond au propos du film, puisque Will veut déceler ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Ce type d’exemple prouve que Tim Burton continue d’explorer et d’approfondir des recherches cinématographiques qu’il effectue depuis ses premiers films.

3.    Les scènes écrites mais non présentes dans le film

Le travail de Tim Burton ne s’est pas limité à la réalisation. Il a imposé sa vision du scénario non seulement lors de cette dernière, mais aussi sur le montage qui a suivi. Le travail qu’il a effectué l’a conduit à supprimer des parties de scène ou de dialogue qu’il jugeait inutiles, voir des scènes entières. Lors du montage, Tim Burton et Chris Lebenzon laissent leur sensibilité raconter l’histoire au mieux. Les coupures ne sont donc pas des appauvrissements, mais il faut comprendre pourquoi elles ont été faites.

a.      Morceaux de scènes

Tout d’abord, parmi les morceaux de scène qui ont été coupés, se trouve l’instant où Will et Joséphine sont accueillis chez Sandra et Edward. Sandra leur ouvre la porte, et paraît surprise. Cut. Nous retrouvons dans le film Sandra et Will près de la voiture. Entre temps, un court dialogue a été coupé : Sandra demandait à Will comment ils sont arrivés, et ce dernier répondait qu’ils avaient nagé. Nous avons vu que cette simple phrase mettait tout le film en déséquilibre, car cette simple parole de Will ne s’oppose absolument pas avec les histoires que conte Edward. Ce qui aurait réduit les effets de l’opposition entre ces deux protagonistes.

De même, dans le flash-back, lorsqu’Edward négocie avec les siamoises pour le rachat de Spectre, Ping dit ne lui prêter d’argent que s’il rachète tout le village. Afin de garder l’esprit enfantin de ce film et ne pas rentrer dans des configurations anecdotiques, rappelant le public à sa réalité pécuniaire, Tim Burton a coupé ce dialogue.

Ensuite, la voix-off introduisant les acheteurs et leurs objectifs dans cette même scène a aussi été coupée, l’image restant plus synthétique que les mots. Elle devenait inutile.

Enfin, on remarque que des trois passages qui ont été écrits et où Edward plaisante, seule une a été conservée : la scène de repas, qui précède l’histoire de sa rencontre avec Sandra. Les deux autres – par exemple celle où après avoir raconté la mort de son père à Joséphine il fait des métaphores graveleuses pour dire que sa mère trompait son mari – ont été coupées par choix de Tim Burton afin de donner plus d’honneur à ce père mourant.

On doit remarquer que ces coupes donnent aussi un dynamisme au récit. Mais leur intérêt principal est de centrer le spectateur sur ce qu’il voit, tout en conservant une idée de chacun des personnages.

b.      Scènes entières coupées

Au-delà de ces parties de scènes qui ont sauté au montage, deux séquences entières ont elles aussi été supprimées. Il n’est plus ici question de dynamisme, et il faut s’interroger sur les raisons qui ont amené à les couper.

                                                                                                    i.          Première vision de Jenny Hill au présent

Après le repas où Will annonce que Joséphine a pris des photos qui ont été publiées dans le dernier Newsweek, il va acheter ce journal avec sa mère. Cette scène se déroulant chez le marchand a été coupée. Dans le scénario, la scène suivante est celle où Edward raconte à Joséphine comment il a séduit Sandra. En revenant, Will passe ensuite à coté de la chambre et écoute la seconde histoire d’Edward, où il est parti en guerre.

Dans cette scène coupée[1], Will et Sandra confrontent leur compréhension de l’autre, celle d’Edward, celle de Sandra et celle de Joséphine. Dans cette scène, Will voit Jenny pour la première fois, mais elle est alors une inconnue avec qui il ne parle pas.

Tim Burton a coupé cette scène car il a souhaité resserrer le film autour de la confrontation entre Will et Edward. La notion de la compréhension de l’autre, telle que développée dans cette scène, était relativement éloignée du thème choisi par le réalisateur. De plus, si elle présente Jenny juste après l’histoire d’Edward (bien qu’elle soit alors inconnue), elle n’amène rien à l’histoire. Sa présence est juste un implant[2] pour le moment où elle réapparaîtra, lorsque Will ira jusqu’à Spectre à la fin du film. Cette scène a aussi été coupée car il faut se souvenir que c’est le même personnage qui joue la sorcière et Jenny. Cette séquence est trop proche de celle avec la sorcière et trop loin de celle avec Jenny pour que cette ressemblance ne perturbe pas le spectateur trop longtemps, et qu’il pense cette relation à la femme d’Edward alors qu’à ce moment, ce n’est pas encore le sujet. Étant donné que la scène avec la sorcière s’est déroulée, cet implant n’a plus aucune valeur.

B.     Conclusion

Tim Burton réalise un film qui lui est personnel en mettant dans sa réalisation plusieurs points de vue. Ces points de vue ne sont pas obligatoirement en accord total avec le scénario qu’a écrit John August. Comme le roman échappait à Daniel Wallace quand John August débuta l’adaptation, il n’appartint plus à ce dernier lorsque Tim Burton le prit en main. C’est ainsi que Big Fish ne dénote pas dans la filmographie du réalisateur, bien qu’il se détourne parfois de ce qu’avait écrit John August. De même, nous avons vu que les principaux thèmes burtonniens sont présents au sein de ce film. Ce à quoi il nous avait habitués et qui a disparu, c’est essentiellement le côté sombre de l’histoire, que l’on retrouve dans le reste de sa filmographie.


[1] Pour lire cette scène, voir annexe 5.

[2] Voir annexe 1 : glossaire.

la première moitié de la première partie à l'adresse suivante : http://tomthomaskrebs.canalblog.com/archives/2010/09/16/index.html

la première moitié de la seconde partie à l'adresse : http://tomthomaskrebs.canalblog.com/archives/2010/09/23/index.html

et la première moitié de la troisième partie à l'adresse : http://tomthomaskrebs.canalblog.com/archives/2010/09/26/index.html

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