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Un amour fictif
29 septembre 2010

Big Fish 07

Voici la suite de mon mémoire consacré à l'adaptation de Big Fish. Vous trouverez l'introduction à l'adresse suivante : http://tomthomaskrebs.canalblog.com/archives/2010/09/09/index.html

C.    Un film de Tim Burton

1.      L’arrivée à Spectre et l’imaginaire enfantin

                        

Tim Burton a fait sien le scénario, pour faire sienne la première vision de Spectre, comme nous l’avons esquissé dans notre première partie.

Nous avons vu que le scénario propose la découverte d’un Spectre qui est relié électriquement au reste de l’Alabama, et que cette ville est coupée par une route. Dans le film, la route et les câblages électriques ont disparu, laissant place à un gazon vert. Alors qu’il sort de la forêt, Edward arrive dans une ville qui représente l’idéal américain : petite ville, elle est peuplée de femmes toutes belles, plantureuses, aimables, et accueillantes. Les soirées, toute cette communauté se rassemble dans la rue principale, monte des scènes et danse sur une musique country engageante. Le paradis sans ombre. Ce paradis correspond à posteriori à l’imaginaire enfantin. Comme le dit Jenny à Will, « On voit les choses différemment à différentes périodes de sa vie ». Cet imaginaire enfantin n’a évidemment rien à voir avec la banlieue où un autre Edward est amené (Edward aux mains d’argent) représentant alors le monde adulte morne, et étant la reproduction à l’identique d’une seule habitation, dans des couleurs tranchées qui n’ont finalement rien d’engageantes. Ici, l’imaginaire prend le pas, et les maisons sont toutes différentes, toutes personnalisées.

Ce type de choix se retrouve aussi dans les personnages et les monstres que Tim Burton a mis en scène.

2.    Choix principal de l’animatronique et l’essai du monstrueux

Mettant des histoires merveilleuses à l’écran, Tim Burton ne s’empêche pas de mettre des monstres à l’écran – des personnages monstrueux. Du squelette élégant de M. Jack à l’androïde d’Edward aux mains d’argent, de la difformité du pingouin aux humains dépossédés de toute humanité de la planète des singes (quand la norme est le singe). Big Fish n’échappe pas à la règle, présentant un géant, des sœurs siamoises, un loup-garou, et une sorcière à un seul œil.

Or, pour réaliser le film qui nous intéresse, Tim Burton a peu fait appel à la 3D : la principale partie du film se déroule sur les lieux où Tim Burton a tourné, et il a préféré avoir recours à l’animatronique. Il en est ainsi du loup qui saute sur Edward lorsqu’il ouvre la porte de la caravane d’Amos Calloway ou du serpent qui ondule vers la fille de la rivière. Il justifie ce choix par deux réponses.

D’abord par référence. Jeune, Tim Burton a apprécié les marionnettes de Ray Harryhausen, et la série des Godzilla japonais, et il est de son droit de reprendre cet univers pour le replacer dans son film.

Ensuite par le réalisme qu’il veut donner à l’intrigue. Il est vrai que des acteurs isolés dans un fond vert ont un rapport beaucoup plus éloigné au décor qu’un acteur plongé dedans – ce qui est normal. Il en va de même pour le lien entre les acteurs et les animaux qui, s’ils ont une présence effective sur le tournage, sont mieux perçus par les personnages en place dans la scène. Et il y a enfin la magie du cinéma comme dans le tournage de la séquence de la chanson des sœurs siamoises que nous allons étudier.

                                                                                     i.      Étude de la présentation des sœurs siamoises

Le tableau suivant présente les plans du début de la séquence où l’on découvre les sœurs siamoises. Pour des raisons de clarté pour les différencier, nous leur donnerons les noms qu’elles ont dans le scénario : Jing et Ping. L’étude qui suit le tableau sera là pour appuyer la façon dont la ‘‘magie’’ du cinéma prend place. La scène étant divisée entre les actions d’Edward et celles des siamoises, nous avons adopté un code couleur pour séparer clairement les actions.

Plan fixe, demi-ensemble

Musiciens

Pause avant d’introduire la siamoise.

Travelling bas-haut, serré

Sur Jing

Première découverte du personnage

Plan fixe, Contre plongée

Edward atterrit sur une passerelle au-dessus de la scène

Mise en parallèle de son évolution

Plan fixe

Il enlève et tire son para- chute

Intérêt sur le parachute qui resservira par la suite

Travelling nerveux droite gauche

Il met KO une sentinelle

Mode d’action

Raccord en plan large

Jing attend la fin de l’introduction

Lien entre les deux actions de la scène et insouciance des deux cotés.

Raccord dans l’axe en gros plan

Jing commence à chanter, seule

Travelling bas-haut partant de l’arrière de la scène et montant vers la passerelle où se bat Edward

Jing continue de chanter, Edward continue de mettre des sentinelles KO

Une seule femme et non deux siamoises sont filmées à ce moment.

Raccord siamoises, plan de demi -ensemble

Elle continue de chanter de profil

Raccord Edward

Suite de plans sur Edward qui élimine des sentinelles

Mode d’action

Raccord siamoise, plan fixe de demi-ensemble

Jing continue de chanter

Raccord dans l’axe, gros plan

Jing continue de chanter

Raccord Edward

Il descend au niveau de la scène par une corde et élimine une nouvelle sentinelle

Mode d’action

Raccord Siamoises plan large

Jing continue de chanter

Contre champ soldats

Aucune réaction

Qui regarde la siamoise ?

Contre champ siamoises, gros plan, puis travelling tournant

On découvre Ping, der- rière Jing. Le travelling les fait passer au travers des lumières : nous finis- sons derrière elles

La caméra nous fait franchir un mur imaginaire (qui permet en outre de montrer la prouesse du costumier tant est parfaite l’intégration des deux jumelles)

Contre champ siamoise,

De face.

Le mur est franchi

Et la séquence continue…

Dans cette scène, les siamoises apparaissent moins longtemps qu’Edward. La magie du cinéma apparaît car ce n’est pas une siamoise qui est filmée lors du premier travelling bas-haut, mais « une femme naturelle », ce qui oriente notre idée du personnage. Afin de ne pas montrer que se sont deux jumelles, cette scène propose pour ce personnage trois costumes différents : le premier porté par Jing, seule, le second lorsque les deux jumelles sont vues de dos, et le troisième lorsqu’elles sont vues de face. Tim Burton propose donc ici un monstre réalisé de façon artisanale, qui lui permet de filmer directement une réalité ‘logique’ et une réalité ‘merveilleuse’. Cette façon de tourner correspond aux films qu’il aime citer en référence, où le maquillage (dans Frankenstein) ou le costume (Godzilla) joue un rôle important, plus important parfois que le personnage dans le cas des Godzilla. Mais ce mode de tournage correspond au propos du film, puisque Will veut déceler ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Ce type d’exemple prouve que Tim Burton continue d’explorer et d’approfondir des recherches cinématographiques qu’il effectue depuis ses premiers films.

3.    Les scènes écrites mais non présentes dans le film

Le travail de Tim Burton ne s’est pas limité à la réalisation. Il a imposé sa vision du scénario non seulement lors de cette dernière, mais aussi sur le montage qui a suivi. Le travail qu’il a effectué l’a conduit à supprimer des parties de scène ou de dialogue qu’il jugeait inutiles, voir des scènes entières. Lors du montage, Tim Burton et Chris Lebenzon laissent leur sensibilité raconter l’histoire au mieux. Les coupures ne sont donc pas des appauvrissements, mais il faut comprendre pourquoi elles ont été faites.

a.      Morceaux de scènes

Tout d’abord, parmi les morceaux de scène qui ont été coupés, se trouve l’instant où Will et Joséphine sont accueillis chez Sandra et Edward. Sandra leur ouvre la porte, et paraît surprise. Cut. Nous retrouvons dans le film Sandra et Will près de la voiture. Entre temps, un court dialogue a été coupé : Sandra demandait à Will comment ils sont arrivés, et ce dernier répondait qu’ils avaient nagé. Nous avons vu que cette simple phrase mettait tout le film en déséquilibre, car cette simple parole de Will ne s’oppose absolument pas avec les histoires que conte Edward. Ce qui aurait réduit les effets de l’opposition entre ces deux protagonistes.

De même, dans le flash-back, lorsqu’Edward négocie avec les siamoises pour le rachat de Spectre, Ping dit ne lui prêter d’argent que s’il rachète tout le village. Afin de garder l’esprit enfantin de ce film et ne pas rentrer dans des configurations anecdotiques, rappelant le public à sa réalité pécuniaire, Tim Burton a coupé ce dialogue.

Ensuite, la voix-off introduisant les acheteurs et leurs objectifs dans cette même scène a aussi été coupée, l’image restant plus synthétique que les mots. Elle devenait inutile.

Enfin, on remarque que des trois passages qui ont été écrits et où Edward plaisante, seule une a été conservée : la scène de repas, qui précède l’histoire de sa rencontre avec Sandra. Les deux autres – par exemple celle où après avoir raconté la mort de son père à Joséphine il fait des métaphores graveleuses pour dire que sa mère trompait son mari – ont été coupées par choix de Tim Burton afin de donner plus d’honneur à ce père mourant.

On doit remarquer que ces coupes donnent aussi un dynamisme au récit. Mais leur intérêt principal est de centrer le spectateur sur ce qu’il voit, tout en conservant une idée de chacun des personnages.

b.      Scènes entières coupées

Au-delà de ces parties de scènes qui ont sauté au montage, deux séquences entières ont elles aussi été supprimées. Il n’est plus ici question de dynamisme, et il faut s’interroger sur les raisons qui ont amené à les couper.

                                                                                                    i.          Première vision de Jenny Hill au présent

Après le repas où Will annonce que Joséphine a pris des photos qui ont été publiées dans le dernier Newsweek, il va acheter ce journal avec sa mère. Cette scène se déroulant chez le marchand a été coupée. Dans le scénario, la scène suivante est celle où Edward raconte à Joséphine comment il a séduit Sandra. En revenant, Will passe ensuite à coté de la chambre et écoute la seconde histoire d’Edward, où il est parti en guerre.

Dans cette scène coupée[1], Will et Sandra confrontent leur compréhension de l’autre, celle d’Edward, celle de Sandra et celle de Joséphine. Dans cette scène, Will voit Jenny pour la première fois, mais elle est alors une inconnue avec qui il ne parle pas.

Tim Burton a coupé cette scène car il a souhaité resserrer le film autour de la confrontation entre Will et Edward. La notion de la compréhension de l’autre, telle que développée dans cette scène, était relativement éloignée du thème choisi par le réalisateur. De plus, si elle présente Jenny juste après l’histoire d’Edward (bien qu’elle soit alors inconnue), elle n’amène rien à l’histoire. Sa présence est juste un implant[2] pour le moment où elle réapparaîtra, lorsque Will ira jusqu’à Spectre à la fin du film. Cette scène a aussi été coupée car il faut se souvenir que c’est le même personnage qui joue la sorcière et Jenny. Cette séquence est trop proche de celle avec la sorcière et trop loin de celle avec Jenny pour que cette ressemblance ne perturbe pas le spectateur trop longtemps, et qu’il pense cette relation à la femme d’Edward alors qu’à ce moment, ce n’est pas encore le sujet. Étant donné que la scène avec la sorcière s’est déroulée, cet implant n’a plus aucune valeur.

B.     Conclusion

Tim Burton réalise un film qui lui est personnel en mettant dans sa réalisation plusieurs points de vue. Ces points de vue ne sont pas obligatoirement en accord total avec le scénario qu’a écrit John August. Comme le roman échappait à Daniel Wallace quand John August débuta l’adaptation, il n’appartint plus à ce dernier lorsque Tim Burton le prit en main. C’est ainsi que Big Fish ne dénote pas dans la filmographie du réalisateur, bien qu’il se détourne parfois de ce qu’avait écrit John August. De même, nous avons vu que les principaux thèmes burtonniens sont présents au sein de ce film. Ce à quoi il nous avait habitués et qui a disparu, c’est essentiellement le côté sombre de l’histoire, que l’on retrouve dans le reste de sa filmographie.


[1] Pour lire cette scène, voir annexe 5.

[2] Voir annexe 1 : glossaire.

la première moitié de la première partie à l'adresse suivante : http://tomthomaskrebs.canalblog.com/archives/2010/09/16/index.html

la première moitié de la seconde partie à l'adresse : http://tomthomaskrebs.canalblog.com/archives/2010/09/23/index.html

et la première moitié de la troisième partie à l'adresse : http://tomthomaskrebs.canalblog.com/archives/2010/09/26/index.html

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