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Un amour fictif
21 avril 2010

Apocalypse Now III

Voici à présent la troisième partie de mon étude et la conclusion générale. Pour les deux parties précédentes, reportez vous au 19 (introduction et I), ou au 20 avril (II) de cette même année. Bonne lecture.

III - La mise en scène en question

Le mythe : Coppola voulait réaliser un film philosphique sur les pulsions les plus basses de l'homme, et par ces procédés narratifs et filmiques, il sont ainsi explorées, sans que le public n'ait une chance d'y réchapper, de par son immersion. Au sortir du film - surtout au sortir d'une scéance commerciale, soit projeté avec une pellicule 35mm - le spectateur n'a pourtant pas élucidé tout le film, certains éléments restent flous, notamment à cause des circonstances de la pyrotechnie développée durant le générique. Cette fin n'est pas une éradication de l'Homme, mais simplement une mort, pour que celui ci puisse renaître.

Une séquence montre parfaitement la transition entre le temps linéaire et le temps cyclique : il s'agit de celle où, après être passé près d'un cimetière traditionnel, Willard détruit les textes concernant Kurtz en les jetant à l'eau... tout ceci avant que le patrouilleur n'entre dans le repaire de Kurtz. Le vert de la flore n'est plus exactement le même, et l'absence de soleil insiste sur cette perte de temporalité.

Mettant en place cette structure, Coppola continue sur des sujets de plus grande ampleur, à propos de l'enlisement américain, dont nous allons observer trois exemples successifs : de l'américain rêvé durant la séquence des hélicoptères à l'idéologie américaine inutile dans le retranchement de Kurtz, en s'arrêtant sur la séquence sur le pond de Do Lung qui présente la perception américaine de la guerre.

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le rêve Américain : La séquence des hélicoptères fut l'une des premières séquences pensées par les co-scénaristes. Dès la première version d'un scénario qui en comptera plus de dix, Wagner y sera adjoint. En débutant l'adaptation du texte de Conrad, Au cœur des ténèbres[1]. Millius souhaitait écrire un film qui croise la guerre du Vietnam et l'Odyssée homérique. Kilgore, initialement Kharnage[2], aurait été l'équivalent moderne du cyclope qu'il faut aveugler pour décider[3]. Il représente le rêve américain dans une guerre Californienne. Il est celui qui rassure, le chef de la cavalerie. Son armée représente elle aussi les États Unis, aussi doit-elle se faire entendre. D'où le choix de Wagner qui a poussé Coppola à chorégraphier extrêmement la séquence. Dans l'hélicoptère, il explique ce qu'il va se passer, avant de lancer "la guerre psychologique[4]". Les américains savent se faire entendre. Cette bataille est la seule du film a avoir un contre-champ dans le village.

Ces champs et contre-champs montrent ce à quoi se résume la guerre du Vietnam : une arrivée fracassante pensant tout de suite à un départ (le surf) alors que le village n'a pas fini d'être balayé. Mais ce n'est que de la mise en scène, car les rouleaux pour lesquels ils étaient venus s'effondrent. De plus, ainsi que le démontre cette main anonyme posée sur une bombe, les "américains" ont besoin de croire en leur matériel militaire.

le pond de Do Lung : Cette croyance dégénère lorsque le patrouilleur se retrouve à la dernière avant-garde américaine, à Do Lung. Le commandant de cette section a disparu, et le rêve s'est transformé en cauchemar. Les soldats ne sont plus tenus que par la peur et l'envie de partir, de quitter cette guerre, de quitter ce lieu. Il n'y a plus de commandement, aussi rien ne reste d'autre que la loi de la jungle, ce qui est démontré lorsque l'on voit l'arme de "la fumette[5]'', un lance roquette décoré en tigre.

Coppola continue de montrer et démonter sa mise en scène, par le truchement d'un élément du décors. Willard passe sous une guirlande de lampes, reliée à d'autre guirlandes, disposées de telle sorte que l'on peut y voir la structure d'un chapiteau de cirque. Afin d'insister sur le côté achevé d'une hypothétique fête foraine, l'air musical fait penser à de l'accordéon, mais retravaillé synthétiquement. Les grands quartiers de toile de ce cirque ont disparu : il n'y a plus qu'un décor hallucinant d'explosions sombres et mouvantes.

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Le retranchement : Si Kilgore incarne, comme nous venons de le voir, "l'américain rêvé de la guerre du Vietnam", Kurtz représente "l'idéal américain dans la guerre du Vietnam" à un endroit où cette idéologie est complètement absurde[6]. Ceci transforme peu à peu Willard en un observateur de l'Amérique qui s'entête, car il faut qu'elle meure pour renaître de ses cendres. C'est aussi pour ça qu'à la toute fin du film, une fois Kurtz éliminé de façon rituelle (la mort du caribou n'étant là que pour appuyer cette interprétation) Willard a se pouvoir sur un peuple sans défense. Cette fin peut à elle seule expliquer un des plus gros succès de la décennie suivante : on peut voir en Rambo[7] un Willard de retour au pays.

Kurtz : La relation qu'entretient durant le film le protagoniste et son antagoniste se détache en deux parties distincte. Dans la première, Kurtz n'est présent que par le truchement de sa voix ou de photographies et de textes officiels. Willard se demande qui est cet officier, et le fantasme. Dans la seconde, qui prend place au campement, la confrontation est en vis-à-vis. Après les pistes laissées par le colonel dans la première partie, nous le voyons, chauve, tel un bonze, qui donne des indications. Alors que Willard veut lui dire qu'il est chargé d'une mission secrète, Kurtz lui répond : "secrète elle ne l'est plus[8]." Ce bonze sait tout : tout ce qu'a fait et doit faire Willard. S'il avait été scénariste, il se serait inspiré de sa vie pour le créer, et c'est ce qui se passe : tous deux sont né dans l'Ohio et ont grandi à plus ou moins grande distance de la rivière éponyme. Les questions qu'il pose tiennent aussi du travail du scénariste : se libérer de l'opinion d'autrui, et même de sa propre opinion[9] permet de pouvoir s'analyser et travailler au mieux. Les affirmations qu'il apportera relèvent du travail du metteur en scène.

Ce personnage, comme nous l'avons déjà évoqué, déclenche des actions de guérilla. Il met des actions en scène, quand Willard est mis en scène par d'autres. Ce rôle est renforcé lorsque, filmé dans une semi-obscurité, à contre jour, il " révèle " à Willard ce qu'il est, "un commis que des épiciers ont envoyés encaisser un impayé[10]". Kurtz reste metteur en scène, et metteur en scène de sa propre mort.... de son propre suicide.

Troisième Conclusion : On peut se demander si c'est lui ou Coppola qui ont pensé au rite consistant à abattre un caribou parallèlement à sa fin, ou si les deux y ont pensé[11]. La mise en scène de cette mort semble dépasser Kurtz, et pour cause. La "folie" de cet homme se résume à un temps circulaire, puisque nous sommes passé du temps au mythe. Mais pour y arriver, il a fallu observer le cheminement américain sur un sol étranger.

Conclusion

Nous avons vu que les rôles attribués à chacun des personnages dépassaient le simple conflit humain, que la structure du film dépassait le conspirationisme, que Coppola veut montrer que l'on peut continuer à faire du cinéma, tout en cherchant à donner de nouvelles émotions au spectateur par la qualité de l'image et du son, afin de l'immerger dans une Réalité autre, tout en faisant de ce film un mythe liant l'épopée Américaine à l'Odyssée de Willard. Apocalypse Now répond aux attentes en transcendant les questions.

En donnant à Willard un spectre de choix par le travers des meurtres perpétrés durant la guerre qu'il viens de subir, il s'est allié les spectateurs américains, traumatisés eux aussi par les images qu'ils ont vu de la guerre à la télévision. Ce n'est plus Willard qui remonte la rivière de plus en plus seul, mais toute l'Amérique, de plus en plus soudée avec lui.

Car Coppola ne fustige pas les États Unis, mais il cherche un moyen pour les aider de se sortir de cette mauvaise image qu'ils ont d'eux même. Il sait que son pays a fait des erreurs, les reconnait, la réponse définitive de son film est de chercher un moyen spectaculaire d'absoudre ces fautes. Il faut pour cela, nous dit-il en substance, une nouvelle génération qui soit forte et qui prenne la place. Cette génération, c'est celle de 79, trop jeune pour pouvoir participer à cette guerre faute de ne pas avoir l'âge minimum requis.

[1] : Joseph Conrad, A Heart of Drakness, 1899.

[2] : P. Cowie, Le petit livre d'Apocalypse Now.

[3] : Fax Behr, George Hickenlooper, Hearts of Darkness: A Filmmaker's Apocalypse, prod. Showtime/Paramount, 1989.

[4] : psych-war

[5] : the roach

[6] : P. Cowie, op. cit.

[7] : Ted Kotchef, First Blood, prod. Buzz Feitshans, 1982

[8] : Ain't no longer  classified, is it?

[9] : Freedoms - from the opinions of others... Even the opinions of yourself

[10] : an errand boy, sent by grocery clerks to collect a bill

[11] : J.-P. Chaillet, C. Viviane, Op. cit.

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